“Il y a quatre grands empires dans le monde : Axoum, Rome, la Perse et la Chine” Mani, philosophe perse, 3e siècle.
Pendant 1000 ans, sur les territoires que sont aujourd’hui l’Erythrée, l’Ethiopie, Djibouti, mais aussi le Soudan, le Yémen, la Somalie et l’Arabie saoudite, l’empire d’Axoum a brillé. Le présent article traitera de cet Etat africain aux savoirs avancés et à l’histoire riche et complexe.
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Axoum, fille de Saba et de la Grèce
Le peuplement de la corne de l’Afrique
Dans l’antiquité, c’est sous influence du puissant royaume de Koush en Nubie (Sud de l’Egypte-Soudan actuel), qu’évolueront les premières populations de la corne de l’Afrique. Les territoires correspondant aujourd’hui à l’Ethiopie, l’Erythrée, Djibouti, la Somalie, tout comme l’Egypte pharaonique, étaient habités de Noirs d’origine nubienne ou apparentés aux Nubiens anciens.
L’étude génétique de Gallego Llorente et collaborateurs publié dans Science en 2015, suggère bien que le nord de l’Ethiopie il y a 4500 ans, était peuplé de Noirs typiques. Ces anciens peuples du nord de l’Ethiopie étaient différents physiquement des populations noires/métissées qui habitent cette région aujourd’hui.
Les Somali, les Oromo, les Beja, les Sidamo, les Afar, les Agaw sont des peuples de la corne de l’Afrique qui continuent ainsi à se définir comme des Couchitiques. Les langues de ces peuples restent apparentées aux autres langues noires d’Afrique.
L’origine koushite des Sabéens
Ce sont également les Koushites, c’est à dire les Soudanais et les peuples de la corne de l’Afrique, qui il y a fort longtemps, ont traversé la Mer Rouge pour constituer l’essentiel de la population de l’Arabie. C’est eux, sous l’influence nubio-égyptienne, qui y ont fondé les premières civilisations de l’Arabie, dont notamment le célèbre et très prospère royaume de Saba au Yémen actuel. La Bible a consigné ces traditions à la Genèse chapitre 10, verset 7, en parlant de Saba fils de Cush.
Il y a près de 4500 ans, les populations blanches, venues d’Eurasie, ont commencé à arriver en Asie de l’Ouest (Moyen-Orient) et ont atteint l’Arabie il y a 3800 ans. Ces populations blanches sont les ancêtres des Arabes. Cela a eu pour effet de métisser une partie des Sabéens et de changer leurs langues en langues sémitiques.
Quand donc les Sabéens font eux-mêmes route vers l’Afrique il y a quelques 3000 ans, ils sont certes toujours de culture et de spiritualité africaines, mais ils sont maintenant noirs, métis, blancs, et de langue sémitique.
Ces Sabéens qui allaient migrer se nommaient aussi Habesha. C’est Habesha qui a donné le mot Abyssinie. Abyssinie sera alors le nom de l’Ethiopie et l’Erythrée dirigées par les Sabéens et leurs descendants.
Damot, la partie africaine du royaume de Saba
En Erythrée et en Ethiopie, les Sabéens vont trouver les locaux couchitiques, qui sont les ancêtres des Agaw, et qui bien entendu avaient déjà leur propre culture. Avec les Couchitiques, les Sabéens vont fonder le royaume de Damot.
Cette arrivée des Sabéens est certainement la principale explication de l’apparence métissée d’une partie des peuples du nord de l’Ethiopie et de l’Erythrée. Les Tigrinya, les Amharas, les Hahari qui sont des habitants de ces régions aujourd’hui, parlent ainsi des langues sémitiques, descendantes du Geez d’origine sud-arabique. On appelle ce groupe de peuples les Ethiosémitiques. Certains se désignent encore de nos jours comme des Habesha.
Damot était naturellement un royaume sous influence du monde africain pharaonique. Cette influence s’étendait sur toute la Méditerranée, l’Asie de l’Ouest, l’Inde et même l’Amérique.
Des traits majeurs de la culture pharaonique nubio-égyptienne étaient retrouvés à Damot : le matriarcat, le culte des ancêtres bienfaiteurs, la vénération des reines et des divinités féminines, les rois-prêtres, la présence de sphinx, le port pour les élites de vêtements au tissu plissé, les naos et leurs processions, les libations et l’usage de l’encens, le culte de la lune dite Yeha et semblable à Yah des Egyptiens, le culte du Soleil principale manifestation de Dieu.
On a les titres des rois de cette époque. Il a été trouvé par exemple l’inscription suivante : “Roi Srn de la tribu Ydg, Mukarrib (roi-prête) de Damot et de Saba”.
L’apport grec
Il y a 2400 ans, Damot décline et des cultures mineures vont exister en Abyssinie. Les Grecs pour leur part, qui ont reçu la civilisation des Noirs d’Egypte et de Phénicie, vont sous Alexandre Le Grand, conquérir la Méditerranée orientale et l’Asie de l’Ouest il y a 2300 ans. Leur culture va par conséquent dominer la région.
Ce sont les rois grecs devenus dirigeants de l’Egypte après les conquêtes d’Alexandre, qui vont fonder en Erythrée le port d’Adoulis et stimuler le commerce. La langue grecque, équivalent alors par sa puissance à l’anglais, va pénétrer l’Abyssinie. C’est donc très probablement sous l’impulsion du contact grec que la corne de l’Afrique va renaitre sous l’empire d’Axoum.
L’émergence d’Axoum
Axoum fille de Damot nait il y a près de 2200 ans. Elle s’élève par les contacts commerciaux avec l’empire grec puis avec Rome qui succède à la domination grecque. L’Abyssinie est très riche en éléphants et c’est surtout grâce à la vente de son ivoire et son or que le royaume se développe. Les cornes de rhinocéros sont également exportées. Les produits manufacturés sont importés.
Les échanges commerciaux, en plus du monde gréco-romain, concernent naturellement le reste de l’Afrique, l’Arabie, mais aussi l’Inde, le Sri Lanka et la Chine.
Les souverains axoumites, dès le règne d’Endubis au 3e siècle, font donc battre des pièces de monnaie en bronze, en argent et en or. A noter que le premier Etat africain à avoir produit des pièces de monnaie dans l’histoire est la République noire de Carthage en Tunisie ancienne.
L’administration axoumite est efficace grâce à sa bureaucratie en écriture grecque et geez, écritures frappées sur d’innombrables stèles et de nombreuses bâtisses. L’encombrement du port d’Adoulis, où des centaines de bateaux accostent, rend compte de la fièvre économique. Partout des palais sont construits sous ordres des Rois et des nobles. Axoum affirme sa puissance.
Tout cela fait encore dire à Mani au 3e siècle qu’Axoum est le troisième royaume le plus puissant au monde.
Les langues officielles de l’empire étaient le Grec, puis à partir du 4e siècle le Geez même et une variante de la langue sabéenne. Le pays a également compté une minorité d’origine grecque.
Joseph Ki-Zerbo, reprenant Julian, alors envoyé de l’empereur romain Justinien à Axoum, dit dans Histoire de l’Afrique Noire à la page 94 “Le roi (…) était vêtu de bandes de coton serties de perles par-devant et par-derrière. Debout dans un char tiré par quatre éléphants, il portait des bracelets et des colliers en or, de même qu’un bouclier et deux petites lances dorées. Les gens de son conseil avaient à peu près le même attirail. Un chœur de flûtes faisait partie de l’escorte”.
L’architecture
Les empereurs d’Axoum vont construire de nombreux palais et des lieux de culte. Les vestiges de cette énergie bâtisseuse sont nombreux. Des palais à étages, avec de larges murs et de nombreux escaliers, ainsi que des structures souterraines étaient construits. Le tout dans des enceintes d’une longueur maximale de 120 mètres. Les châteaux étaient garnis d’or, de cuivre, de bronze, de pierres précieuses, de céramiques, de poteries.
Les autres édifices marquants à Axoum sont les monolithes, encore appelés obélisques. D’une hauteur maximale de 33 mètres, ce sont des monuments funéraires qui racontent des scènes de vie ou détaillent l’architecture ancienne.
Ezana et l’introduction du Christianisme en Ethiopie
Le Christianisme en Ethiopie, on ne cessera de le dire, est d’origine romaine. Aucun Christianisme n’est né en Ethiopie, ce que nous avons expliqué en détail dans un article que vous pouvez lire en cliquant ici
Avant donc l’arrivée du Christianisme à Axoum en 330, l’Abyssinie avait comme religion officielle le Vitalisme (Animisme) avec le Dieu Mahrem et le culte des ancêtres. Mahrem était équivalent d’Amen/Amon/Imana dans le reste de l’Afrique. Mahrem était vu comme le premier Ancêtre des Axoumites et des rois d’Axoum. C’est là une définition de Dieu qu’adoptent respectivement tous les peuples africains.
Probablement sous influence grecque, Mahrem prendra aussi les attributs de patron de la guerre comme le Dieu suprême Zeus. Sur les pièces de monnaie, le disque solaire et le symbole lunaire témoignaient de la prééminence du Vitalisme local. Le culte de Mahrem était particulièrement puissant.
On voit donc qu’aux premiers siècles de l’empire d’Axoum en Ethiopie actuelle, Mahrem était défini, conformément à la vision africaine, comme tout puissant Dieu-Ancêtre des rois et du peuple. Le roi Ezana même, au début, se proclamait comme Fils de l’invincible Mahrem. Cela montre, que la légende qui rattache les rois d’Ethiopie à la descendance juive de Salomon, a bien été inventée par la suite. Cette révision date du 14e siècle seulement, avec l’écriture du livre éthiopien Kebra Nagast.
Enfant, Ezana a comme tuteur le romain Frumentius. Les contacts d’Axoum avec l’hégémonique empire romain, prédisposent les Axoumites à embrasser le Christianisme, créé dans les faits par l’empereur romain Constantin en 325 au concile de Nicée.
Frumentius réussi à convertir Ezana et l’Abyssinie bascule dans le Christianisme en 330. Nous avons expliqué en détail ces faits dans un article que vous pouvez lire en cliquant ici
Ezana mène également une campagne militaire contre l’agonisant empire koushite de Baroua (Méroé). Il met par cet acte une fin définitive à la civilisation pharaonique, conquiert une partie du Soudan actuel et met le peuple Beja sous son pouvoir.
Il convient de rappeler que le terme Ethiopie vient du grec Aethiopius, c’est-à-dire Visage brulé donc Noir. Le mot désignait toute l’Afrique, le Soudan en particulier. C’est Ezana qui pour la première fois va appeler l’Abyssinie Ethiopie. On peut penser que c’est parce qu’il avait conquis le Soudan qu’il a récupéré ce nom.
A partir du règne d’Ezana, le disque solaire et la lune du Vitalisme, sont remplacés par la croix chrétienne sur les pièces de monnaie. Les églises en Abyssinie n’apparaissent qu’à partir d’Ezana.
Caleb et la conquête de l’Arabie
Une ambition considérée légitime
De par leur origine sabéenne, les Axoumites avaient toujours regardé les royaumes du sud de l’Arabie comme leurs terres naturelles. Les rois d’Axoum n’avaient ainsi cessé d’intervenir dans les affaires des Etats de l’autre côté de la Mer Rouge, et d’y proclamer leur autorité. Tout comme les Pharaons d’Egypte, qui cherchaient toujours à diriger le Soudan.
Avant la conquête de Caleb au 6e siècle, ce n’est pourtant pas clair si dans les faits les rois d’Axoum dirigeaient le Yémen actuel. Mais déjà comme les rois de Damot, Ezana portait les titres suivants “Roi d’Axoum, de Himyar et de Saba…”. Himyar comme Saba était en Arabie. Ceci dit, ce serait donc l’empereur Caleb qui plus que jamais, allait mettre sous son pouvoir les terres ancestrales arabiques des Axoumites.
Trois religions en conflit en Arabie
Depuis leurs persécutions par les pouvoirs babyloniens et romains, une partie des Hébreux et Juifs avaient migré vers l’Arabie du Sud. Sur place, ils avaient constitué des communautés puissantes. Par ailleurs, sous l’influence de Rome et Axoum, le Christianisme gagnait inexorablement du terrain à Saba et Himyar. Les deux religions révélées cohabitaient avec le Vitalisme sabéen. Les rivalités entre les trois religions prenaient de l’ampleur.
Au tournant de l’an 520, des groupes juifs sous le roi Dhu-Nuwas, et aidés des Vitalistes, commettent des massacres contre les Chrétiens. Mis au courant, Caleb et l’empereur romain Justin font alliance pour aller secourir les Chrétiens.
Caleb le chef de guerre
L’empereur axoumite, à la tête d’une armada phénoménale de 120 000 soldats, traverse la Mer Rouge pour venir en aide à ses frères ethniques et religieux.
Les troupes juives sont submergées par la force abyssinienne. Dhu-Nuwas est capturé et tué par Caleb lui-même. Les Juifs sont massacrés. Le pouvoir chrétien est consolidé. L’Arabie heureuse devient résolument un territoire axoumite. Grace à cette nouvelle géographie, l’empire prend totalement le contrôle du commerce sur la Mer Rouge et s’enrichit encore. Axoum atteint son apogée absolue.
Abraha, le gouverneur axoumite de l’Arabie sous Caleb, lance même une impressionnante armée de soldats à dos d’éléphants contre la Kaaba, alors lieu saint des Vitalistes. 50 ans plus tard, les armées axoumites se retirent du Yémen, pour aller arbitrer des batailles de pouvoir en Afrique. La domination d’Axoum sur l’Arabie prend ainsi fin dans les faits.
Le déclin d’Axoum
Un siècle après la conquête de Caleb, un théologien arabe du titre de Mohamed, fait un mélange des 3 religions de l’Arabie. Il adapte cette nouvelle pensée à l’idéologie patriarcale et guerrière des Arabes. C’est la naissance de l’Islam.
Tout comme des siècles avant, les Juifs puis les Romains avaient plagié, déformé puis détruit le culte africain et vitaliste d’Isis pour inventer le Christianisme, l’Islam à sa création, plagie et déforme extensivement le Vitalisme sabéen, avant de le diaboliser et rejeter l’héritage sabéen.
Les Arabes progressivement unifiés sous l’Islam conquièrent toute l’Arabie et l’Afrique du Nord. Ils coupent ainsi les voies commerciales d’Axoum, notamment vers l’empire romain d’Orient. Le déclin économique commence pour l’empire abyssin. A cela vient s’ajouter une instabilité politique et des guerres. La sécheresse s’abat sur Axoum. La famine ravage le pays au 9e siècle. L’agonisant Axoum s’écroule au 10e siècle.
Au 12e siècle sur les vestiges d’Axoum, des rois Agaw, rejoints plus tard par les rois Amharas se disant de la descendance de Salomon, reprendront le flambeau de l’héritage d’Ezana et Caleb. Les Agaw fonderont la civilisation de l’Ethiopie impériale ou civilisation de l’Ethiopie chrétienne.
La civilisation de l’Ethiopie chrétienne, fille de l’Abyssinie d’Axoum, elle-même fille de Saba et de la Grèce, elles-mêmes filles de la Nubie-Egypte, ne s’effondrera qu’avec le renversement de l’empereur Hailé Sélassié en 1974.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Histoire Générale de l’Afrique, Volume II, Unesco
- The History of Africa, Molefi Kete Asante
- Histoire de l’Afrique Noire, Joseph Ki-Zerbo