Soumangourou Kanté : les bons et mauvais côtés du Roi légendaire

Un roi sanguinaire, un homme vivant dans une tour où il exerce des actes abjects de sorcellerie, couvert des peaux de ses victimes humaines. Les descriptions de certains traditionalistes pour dépeindre Soumangourou Kanté sont graves.

Le récit très négatif, et même diabolique, de ce roi qui a marqué l’Afrique de l’Ouest il y a 800 ans, est connu de presque tous. Le souverain sosso est communément vu comme une figure mauvaise.  

Mais au-delà de l’image désastreuse que véhicule la version dominante, qui était vraiment Soumangourou Kanté ? On va voir que le roi était en réalité une personne bien plus nuancée. Nous essayerons aussi de comprendre pourquoi il est aujourd’hui raconté, injustement, de manière aussi négative. 

Aux origines : le déclin de l’empire de Wagadou  

L’Afrique de l’Ouest à l’époque de l’empire de Wagadou (ancien Ghana)

Il y a 1700 ans, le peuple Soninké originaire d’Egypte, fondait au Mali-Mauritanie-Sénégal actuel, l’empire de Wagadou ou ancien Ghana. Wagadou fut possiblement l’Etat le plus riche au monde en son temps. Après 7 siècles de faste, la sècheresse commence à précipiter le glorieux empire vers sa fin. L’Etat se désintègre. Certaines de ses provinces, dont le Sosso, commencent à prendre leur indépendance.  

En 1076, les Noirs berbères islamisés du mouvement des Almoravides, entrent à Wagadou, le saccagent et l’affaiblissent profondément. Les élites soninkés vont se convertir à l’islam, s’attirant l’hostilité du peuple resté vitaliste (animiste), et qui prend la fuite. Wagadou s’effondre.   

Vestiges de Wagadou

Un forgeron conquérant, debout contre l’Islam  

Soumangourou Kanté ou Soumaouro Kanté ou encore Coumba-Aourou Kanté, est le fils de la reine Ina Coumba et du roi Diarra Diarisso, roi du Sosso indépendant, et dont le siège aurait été au Mali actuel. Soumangourou nait vers la fin du 12e siècle. Les dynasties régnantes du Sosso, d’origine soninké, sont issues de la caste des forgerons, ce qui va leur donner l’avantage technique pour mener des guerres de conquêtes.  

Les Sosso sont résolument opposés à la pénétration de l’islam. Ceci contrastait avec les élites du peuple mandé, peuple d’origine soninké également, qui pour leur part au contact des Berbères, avaient déjà à cette époque embrassé l’islam.

Soumangourou Kanté fut ainsi un initié vitaliste très aguerri. Grand connaisseur des secrets de la Spiritualité Africaine comme sa sœur Kangouba Kanté, il entendait faire prospérer le Vitalisme.  

Soumangourou ambitionne donc de se créer un empire sur les ruines de Wagadou agonisant. Avec ses troupes équipées d’armes de fer, il entre à Koumbi, ancienne capitale de Wadagou et soumet la ville à son autorité. Il mène d’autres guerres de conquêtes sur les territoires que sont aujourd’hui le Mali, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée. Dans sa lancée, il va se trouver aux prises avec les Mandé. 

Un roi initialement opposé à l’esclavage 

L’arrivée des Almoravides et des Arabes vers les fleuves Sénégal et Niger avait précipité la région dans une spirale esclavagiste. Mis à part les razzias, les Berbères et les Arabes se procuraient aussi des esclaves grâce à la collaboration de certaines autorités locales, dont celle des Mandé. A la fin du 12e siècle, des Mandé participaient à l’enlèvement de personnes et à leur déportation vers les marchés à esclaves.  

Vivement opposé à cette pratique qui lui apparaissait contraire aux valeurs traditionnelles, Soumangourou ira jusqu’à faire bruler vif des personnes impliquées dans la traite. Il envoie une délégation au pays mandé pour faire alliance, mettre le territoire sous sa tutelle et mettre fin à la traite arabo-musulmane. L’autre objectif est de contrôler les gisements d’or du pays mandé, nécessaires pour avoir l’hégémonie dans la région.  

Les émissaires de Soumangourou Kanté sont moqués, insultés et méprisés par les chefs mandés qui ne voient le roi que comme un petit forgeron de caste inférieure, un fabriquant de marmite, qui n’aura jamais vocation à les diriger.  

Cet affront, le roi Sosso décide de le laver par des expéditions punitives sur le Mandé, menées par son neveu utérin le Général Fakoli Doumbia. A neuf reprises il vainc le pays. Les princes mandés meurent en nombre lors de ces guerres. Soumangourou se rend donc maitre absolu de la région. L’éphémère empire Sosso est né.  

Le maintien de l’esclavage et l’affrontement avec Soundjata Keita 

Prenant le contre-pied de ce qu’il a pourtant constamment démontré comme ses convictions, Soumangourou ne met pas fin à la traite arabo-musulmane au Mandé. La résistance contre son pouvoir sur le territoire continue, il est toujours méprisé et répond par la force.

Se sentant écrasés par le règne Sosso, les chefs mandés restant vont chercher le prince rescapé Soundjata Keita pour en finir avec la domination de Soumangourou.  

Après avoir été initialement vaincu, Soundjata Keita prend le dessus sur Soumangourou lors de la célèbre bataille de Kirina en 1235. Soumangourou blessé sur le champ de bataille, s’enfuit et disparait. Il a probablement trouvé la mort. 

Illustration de la bataille de Kirina CC 3.0
Illustration de la bataille de Kirina
CC 3.0

Soundjata Keita dans sa poussée conquiert toute la région et fait naitre l’empire du Mandé, ou Mandeng, ou empire du Mali, un empire vitaliste et musulman. Mandeng deviendra l’Etat le plus riche au monde un siècle plus tard. Dans la Charte du Mandeng, déclaration entérinant la naissance du nouvel empire, Soundjata Keita met fin à l’esclavage sur le territoire.  

Que retenir de Soumangourou Kanté  

  • Il avait la grande ambition de se créer un empire dans la continuité de Wagadou 
  • Il a défendu la Spiritualité Africaine et l’authenticité africaine 
  • Initialement opposé à l’esclavage, il ne l’a pas totalement interdit quand c’était possible 

Pourquoi est-il diabolisé ?

Tout simplement parce que les vainqueurs écrivent l’histoire. C’est le ressenti des Mandé de l’époque, écrasés par les guerres du Sosso, qui est transcrit quand on raconte Soumangourou Kanté. Il est clair que dire qu’il n’était qu’un sanguinaire couvert de peaux humaines est une exagération.

Par ailleurs toutes les accusations de sorcellerie et autres pratiques diaboliques témoignent aussi d’une hostilité envers le Vitalisme. Mais aujourd’hui encore, des traditionnalistes mandingues mêmes, disent de lui qu’il était un très grand roi.  

D’un point de vue historique et politique, ce qu’on doit reprocher à Soumangourou Kanté est de ne pas avoir mis fin à l’esclavage. Pour le reste, il était un conquérant qui a presque réussi à créer un empire vitaliste en Afrique. 

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama ©

Notes :  

  • Contributions à l’étude du règne des souverains, le cas de Soumangourou Kanté; Yaya Bakayoko, Université Péléforo Gon-Coulibaly 
  • Histoire de l’Afrique Noire, Joseph Ki Zerbo 
  • Histoire Générale de l’Afrique, vol 4, Unesco 
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