Cette histoire est un des piliers identitaires les plus révérés de l’Ethiopie moderne. Cette histoire est regardée comme éminemment importante par les Black Hebrews (Noirs hébreux), ces Africains sur le continent et aux Etats-Unis, qui se disent descendants de tribus juives. Cette histoire se retrouve dans toutes les religions révélées. Cette histoire est la relation entre le roi juif Salomon et la reine de Saba.
Dans sa version finale, est prêtée une union aux deux. De celle-ci serait issu Bayna Lehkem, encore appelé David comme son grand père, et plus connu sous le nom de Menelik 1er. C’est lui qui fonda la lignée des rois d’Ethiopie dits salomonides et dont le dernier est l’empereur Hailé Sélassié mort en 1975. Au-delà de ce que disent les textes religieux, quels éléments factuels corroborent l’union de Salomon et de la reine de Saba ? C’est ce que nous allons voir.
Le récit de la relation en question est décrypté en 3 étapes. Afin de mieux les comprendre, la lectrice et le lecteur sont invités à se documenter – à travers nos articles précédents – sur les véritables origines du Judaïsme, de l’Islam et du Christianisme en Ethiopie.
On situe au 10e siècle avant JC l’existence du roi juif Salomon et par conséquent de sa relation avec la reine de Saba. Il convient pour commencer, de connaitre les rapports de force dans la région à cette époque.
La géopolitique de l’Asie de l’ouest il y a 3000 ans
Saba
Le royaume de Saba au sud de la péninsule arabique (actuel Yémen), fut un royaume à prédominance noire et à l’identité africaine. Il fut fondé par des populations originaires de Nubie (Soudan). C’est pourquoi on y retrouvait toutes les caractéristiques des Etats africains, c’est-à-dire le matriarcat, les rois-prêtres, un Dieu unique dont le messager est le Soleil et qui a plusieurs aspects (divinités) masculins et féminins. Le royaume de Saba possédait aussi des territoires en Erythrée et en Ethiopie actuelles.
L’historien africain-américain Runoko Rashidi nous dit dans son livre Histoire millénaire des Africains en Asie, page 34 que « (le royaume de Saba) était prospère et hautement développé, caractérisé par la place importante accordée de manière générale à la femme (…) en fait à plusieurs reprises on entend parler de femmes qui ont joué des rôles de premier plan dans l’histoire de l’Arabie ».
Saba avait une telle réputation pour sa prospérité que les Grecs et les Romains avaient continué à l’appeler Arabia felix, c’est-à-dire l’Arabie heureuse, un pays regorgeant de richesses et de parfums comme le dira Pline l’Ancien.
Par ailleurs le royaume de Saba, du fait de son régime matriarcal africain, ne peut pas avoir eu une seule reine. Dans la tradition africaine la femme, la mère du roi notamment, était toujours au cœur du pouvoir. Il y a donc toujours eu une reine à Saba. Reine de Saba est par conséquent une expression générique, qui ne désigne personne en particulier. Que la tradition arabe l’appelle Bilkis ou la tradition éthiopienne Makeda ne repose sur aucune preuve. On ne sait pas de quelle reine de Saba il s’agit.
Saba était donc un Royaume richissime sur deux continents, dirigé par des femmes.
Le royaume de Salomon
Les textes bibliques ne manquent pas d’emphase pour décrire la richesse et la puissance extraordinaires de Salomon. Il aurait ainsi eu des palais grandioses, aurait dirigé une partie de la Terre, aurait été connu de tous pour sa sagesse et serait l’homme le plus riche de l’histoire. La vérité est beaucoup moins reluisante.
Aucune trace des palais, temples et de la richesse de Salomon n’a été retrouvée par l’archéologie. Les faits se révèlent même plus graves encore sous la plume de chercheurs juifs comme Israel Finkelstein, directeur de l’institut d’archéologie de l’Université de Tel Aviv et Neil Arsher Silberman, archéologue de l’Université hébraïque de Jérusalem, qui disent « politiquement, David (père de Salomon) et Salomon ne furent guère que des chefs de clan dont le pouvoir administratif, local, s’étendait uniquement sur la région montagneuse qu’ils contrôlaient » [1].
Par ailleurs si Salomon était si puissant, connu de tous et visités par tous comme le dit l’Ancien Testament, alors les royaumes étrangers auraient parlé de lui. On ne retrouve pourtant aucune mention de son royaume dans les écrits de l’époque. Son nom n’apparait nulle part. C’est comme si personne ne le connaissait.
Amihai Mazar, archéologue à l’Université hébraïque de Jérusalem dit « Il ne fait aucun doute que le texte (biblique) exagère à l’extrême les dimensions du royaume (de Salomon), la prospérité, tous ces coffres remplis d’or à Jérusalem (…) le fait que Salomon ait eu 1000 épouses. En fait en réalité à l’époque il devait y avoir 1000 personnes qui vivaient à Jérusalem. Donc avoir 1000 épouses (…) aurait été compliqué » [2].
Cheikh Anta Diop arrive aux mêmes conclusions et dit « Salomon n’a été qu’un petit roi régnant sur une petite bande de terre ; il n’a jamais gouverné le monde comme le disent les légendes » [3].
On a donc d’un côté une reine (laquelle ?) qui régnait sur un royaume richissime sur deux continents, et de l’autre côté le chef sans importance d’un campement de montagne.
A partir de toutes ces données, on peut donc voir comment le reste a été construit.
1 – La Bible
1 rois 10 1-29 : La reine de Saba avait entendu parler de la renommée de Salomon. Elle vint donc pour le mettre à l’épreuve en lui proposant des énigmes (…) elle lui proposa les énigmes qu’elle avait préparées, mais Salomon trouva réponse à tout et ne fut arrêté par aucune difficulté.
Lorsque la reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon, le palais qu’il avait construit,
les plats servis à sa table (…) elle en eut le souffle coupé, et elle dit au roi : « Ce que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse, c’était donc vrai ! (…) Tu surpasses en sagesse et en magnificence la renommée qui était venue jusqu’à moi. Béni soit le Seigneur ton Dieu, qui t’a montré sa bienveillance en te plaçant sur le trône d’Israël. (…)
Elle fit présent au roi de cent vingt lingots d’or, d’une grande quantité d’aromates et de pierres précieuses (…) Le roi Salomon donna à la reine de Saba tout ce qu’elle souhaita demander, et il lui fit bien d’autres présents, comme seul pouvait en faire le roi Salomon. Puis elle s’en retourna dans son pays, elle et les gens de sa cour.
Voila ci-dessus ce que dit le texte le plus ancien sur les rapports entre la reine de Saba et Salomon. Maintenant en connaissant le contexte de l’époque, une telle rencontre aurait-elle été possible ? En toute probabilité non. Une reine puissante n’avait aucun intérêt à faire un si long voyage pour rencontrer un chef de clan de montagne.
La question est maintenant de savoir pourquoi les auteurs de la Bible ont donc inventé cette histoire ? Eh bien comme nous l’avons expliqué, les ancêtres des juifs, il y a 2500 ans quand ils rédigent la Bible sous la direction du scribe Esdras, vivaient un contexte difficile. C’était un peuple sans importance, sans nation véritable, inlassablement dominé par toutes les puissances régionales (Assyrie, Egypte, Babylone, Perse) et qui convoitait une Terre appartenant historiquement aux Noirs cananéens-phéniciens.
La Bible a donc été écrite pour doper le moral des proto-juifs, les élever mentalement pour faire face à leurs défis, enraciner leur pensée dans une histoire glorieuse et un salut divin réservé à eux seuls.
Pour ce faire il a fallu construire des héros formidables comme Moïse, David et donc Salomon. Et puisque Salomon devait être le plus important roi de l’histoire, il fallait légitimer ce statut en lui donnant une rencontre avec un Chef d’Etat connu important de l’époque, en l’occurrence « la reine de Saba ».
Israel Finkelstein et Neil Arsher Silberman disent encore « (l’histoire entre Salomon et la reine de Saba est) une histoire montée et anachronique (aux dates non concordantes) du 7e siècle, dont le but est de légitimer la participation de Judah au lucratif commerce arabique » [4].
L’autre chose qu’on remarque dans le texte biblique est que les rédacteurs ne disent jamais que les deux ont eu une relation et un enfant. Le Coran a en fait servi de pont à cette version finale.
2 – Le Coran
Sourate 27 : (Et un oiseau dit à Souleyman (Salomon)) : Je t’apporte de Saba une nouvelle sûre.
J’ai trouvé qu’une femme règne là,
comblée de tout: elle a un trône grandiose.
Et je l’ai trouvée avec son peuple
à se prosterner devant le soleil,
non pas devant Allah !
Le Shaïtân (le diable) maquille leurs actions
et les écarte du sentier:
non, ils ne sont pas guidés.
Allah ! Point de divinité à part Lui, le Seigneur du Trône Immense.
Souleyman envoie l’oiseau délivrer un message à la reine
(…)
La reine dit: « Ô notables ! Une noble lettre m’a été lancée.
Elle vient de Sulayman (Salomon); et c’est: « Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,
Ne soyez pas hautains avec moi et venez à moi en toute soumission. »
Souleyman reçoit en victoire le trône de la reine et la reine vient auprès de lui.
Quand elle fut venue on lui dit: « Est-ce que ton trône est ainsi ? » Elle dit: « C’est comme s’il l’était. » -[Sulayman (Salomon) dit]: « Le savoir nous a été donné avant elle; et nous étions déjà soumis. »
Or, ce qu’elle adorait en dehors d’Allah l’empêchait (d’être croyante) car elle faisait partie d’un peuple mécréant.
On lui dit: « Entre dans le palais » (…) Alors, [Sulayman (Salomon)] lui dit: « Ceci est un palais pavé de cristal. » -Elle dit: « Seigneur, je me suis fait du tort à moi-même: Je me soumets avec Sulayman (Salomon) à Allah, Seigneur de l’univers. »
Le Coran actuel a été écrit sous les ordres du Calife Othman beau-fils de Mohamed, qui a fait bruler les autres corans existant pour imposer le sien. Les rédacteurs se sont inspirés de la Bible, connue en Arabie – alors en partie chrétienne – suite à la colonisation romaine.
Pourquoi avoir repris et adapté cette histoire de Salomon et la reine de Saba ? Eh bien parce que comme le dit la Chahada, le premier pilier de l’islam : « il n’existe aucun autre Dieu qu’Allah ». Par conséquent toute autre foi ne doit pas exister.
Les Arabes, descendants de peuples blancs jectanides entrés en Arabie il y a 3800 ans, ont trouvé sur place les Noirs (Adites, Sabéens), qui les avaient précédés avec leur spiritualité africaine. L’Islam est une copie inavouée de la spiritualité sabéenne, adaptée aux mœurs guerrières et patriarcales des Arabes. Cette nouvelle religion devait s’imposer, en Arabie même pour commencer. Il fallait par conséquent détruire la spiritualité africaine des Sabéens.
Ceci explique pourquoi le personnage générique de la reine de Saba est repris, sa spiritualité africaine diabolisée et les Sabéens insultés. Elle finit ainsi par se donner à Allah avec Salomon, histoire qui n’existe pas dans la version originale. La reine de Saba se convertit donc à l’Islam… 1500 ans avant la naissance de l’Islam ! C’est avec cette étape supplémentaire ajoutée par le Coran, que va se bâtir la version éthiopienne.
3 – Le Kebra Nagast
En 330, des marchands romanisés, établis dans le royaume pharaonique d’Axoum en Ethiopie actuelle, convertissent le roi Ezana au christianisme. C’est à partir de son règne que le pays se christianise. Ezana va jusqu’à faire la guerre aux vitalistes (animistes). Il met ainsi fin à la civilisation pharaonique en détruisant l’empire de Baroua (Méroé) au Soudan, considéré par lui comme infidèle.
Le mot Ethiopie (Aethiopius), signifiant visage brulé donc noir en grec, était utilisée pour désigner le Soudan puis toute l’Afrique. C’est Ezana qui va l’appliquer pour la première fois au royaume d’Axoum. Axoum gagne en puissance, finit par contrôler le sud de l’Arabie, se créant un empire semblable à son ancêtre Saba. Les rapports entre l’Ethiopie et l’Arabie islamisée font connaitre le Coran aux Ethiopiens.
Comme tous les Chrétiens fervents, les Ethiopiens sont versés dans les études bibliques, et réalisent bien que toutes ces merveilles promises par Dieu aux Juifs ne les concernent pas. Leur foi en cette religion étrangère qui s’adresse fondamentalement aux Juifs – peuple élu de Dieu – n’est pas compatible avec leur identité.
Comment réconcilier les deux ? Ils sont conscients de descendre en bonne partie des Sabéens, ont la Bible et le Coran. La tentation semble avoir été trop grande. Au 14e siècle, les Ethiopiens chrétiens franchissent le pas et écrivent donc leur livre sacré, le Kebra Nagast.
Chapitres 28, 30, 31, 32, 38 : Après avoir été immensément charmée par l’intelligence de Solomon, la reine dit “A partir de ce moment je n’adorerais plus le soleil mais j’adorerais le Créateur du soleil, le Dieu d’Israël (…)
Et quand la reine envoya son message à Salomon, disant qu’elle s’apprêtait à rentrer dans son pays (après 6 mois sur place), il contempla et dit « une femme si belle est venue à moi des confins de la Terre. Que sais-je? Dieu me donnera-t-il une descendance en elle?” (…)
« Que mes enfants prennent les cités des ennemis et qu’ils détruisent ceux qui adorent des idoles”.
La reine se réveille assoiffée en pleine nuit dans le palais de Salomon et le croise dans sa quête de l’eau.
Et il lui permit de boire de l’eau et après qu’elle ait bu de l’eau, il fit avec elle ce qu’il désirai et ils couchèrent ensemble.
La reine s’apprête à rentrer chez elle. Salomon dit « S’il advient que j’ai une descendance de toi (…) et si c’est un garçon, alors qu’il vienne à moi. (…) J’ai eu beaucoup de visions en rêve (…) Un soleil s’est levé sur Israël, a pris son envol vers l’horizon pour aller illuminer l’Ethiopie »
Neuf mois et cinq jours après s’être séparée du roi Salomon, les douleurs de l’accouchement la tenaient, et elle enfanta un garçon.
Devenu grand, Bayna Lehkem dit à sa mère « Je vais aller à la recherche de mon père et je reviendrais ici par la volonté de Dieu, le Seigneur d’Israël »
Après avoir accueilli chaleureusement son fils, Salomon dit à ses conseillers « Venez, faisons de lui le roi d’Ethiopie ». Et c’est ainsi qu’il finira par partir en Ethiopie pour y devenir le premier roi salomonide.
Voilà donc la trame complète de la fabrication d’une légende que beaucoup prennent pour fait réel de nos jours ; un emballement du 7e siècle avant JC au 14e siècle, qui a vu la vie d’un chef tribal transformée en conte extraordinaire. Dans la dernière version, Salomon parle de l’Ethiopie actuelle, ce qui est impossible vu que ce nom n’a été appliqué au territoire qu’au 4e siècle.
Ainsi, à travers le Kebra Nagast, les Ethiopiens ont pu s’inventer des origines juives et vivre tranquillement leur foi. Les Falashas quant à eux – comme le rapporte l’historien israélien Shlomo Sand – ont été convertis par des missionnaires juifs en Ethiopie.
En résumé, le chef de clan Salomon n’a jamais rencontré une reine de Saba. Ils n’ont jamais eu de relation et encore moins un enfant. Les Judéens ont écrit cette histoire pour s’élever mentalement ; les Arabes l’ont reprise pour imposer leur religion ; les Ethiopiens l’ont continuée pour s’enraciner dans le christianisme qui leur est étranger.
Tous les Noirs atteints d’aliénation et qui rêvent d’avoir des origines juives de nos jours, basent leur fabrication identitaire, en bonne partie, sur les périodes salomonique et éthiopienne. Tout cela, au vu de l’analyse des faits, ne repose sur rien.
Plutôt donc que de continuer à mendier l’identité d’autrui et inviter une force étrangère – en l’occurrence Israël – dans notre espace, il est plus naturel d’embrasser les Africains que nous sommes, et nous unir autour de l’identité qui a fait de nous les uniques civilisateurs de l’humanité.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- [1] le grand Israël des rois David et Salomon n’ont jamais existé, foi d’archéologue juif ; par Patricia Briel, publié dans letemps.ch, 2002.
- [2] Le puissant royaume de David et Salomon n’est-il qu’un mythe ?, vidéo de Nat Geo France, publié sur Youtube.com, 2019.
- [3] Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop, page 186.
- [4] David and Solomon: In Search of the Bible’s Sacred Kings and the Roots of the Western Tradition, Finkelstein, Israel; Silberman, Neil Asher (2007)..Simon & Schuster. p. 171.