Les Pygmées, les maîtres méconnus de la tradition africaine

Les Pygmées existent sur le continent noir depuis des temps immémoriaux et vivent aujourd’hui en Afrique centrale principalement. Ces Êtres humains de petite taille sont à coté des Noirs de grande taille et des Khoisans, l’autre grande composante physique de la population africaine.

Dans de nombreuses traditions, les Pygmées sont cités comme étant plus anciens en certains endroits que les Noirs de grande taille qui peuplent majoritairement le continent. Ils sont entourés de légendes mais leur histoire est aujourd’hui mal connue du grand nombre.

Plus encore que les Africains en général, les Pygmées souffrent d’une image très rabaissée et de conflits réguliers avec les populations bantoues avec lesquelles ils cohabitent. Nous allons voir pourtant que les Pygmées étaient regardés avec énormément de respect dans l’antiquité africaine. On verra comment leur situation s’est dégradée et formulerons des solutions pour leur permettre de renouer avec leur dignité et leur honneur.

Enfants pygmées

Les Pygmées se nomment eux-mêmes aujourd’hui Twa, Baka, Aka ou Ake, Bongo, Mbuti, Benga, etc. Pygmée – nom qui signifie haut comme une coudée – leur a été donné en raison de leur morphologie, par les auteurs grecs de l’antiquité comme Homère. C’est ce terme que l’Occident a repris des textes grecs anciens, pour désigner ces populations.

Mais comment les auteurs grecs anciens ont-ils eu connaissance des populations pygmées ?

Eh bien c’est parce que les Grecs anciens ont été en contact avec le monde noir dans la vallée du Nil, et c’est du monde noir qu’ils ont reçu toute la civilisation. C’est donc au contact du monde noir en Egypte et au Soudan qu’ils ont connu les Noirs de petite taille et les ont appelés Pygmées. Il faut cependant noter que tous n’avaient pas eu l’occasion de rencontrer des Pygmées. Certains auteurs en ont donc parlé alors comme des êtres légendaires dans un premier temps.

Fresque romaine représentant les Pygmées, Pompei, Italie actuelle

Cela signifie que les Africains de la vallée du Nil connaissaient les Pygmées et c’est ainsi que les Grecs ont pu les rencontrer. Les Egyptiens et les Nubiens (Soudanais) de l’époque pharaonique vénéraient les Pygmées, qui étaient symbolisés par la figure du dieu Bès, comme le reconnait l’Egyptologue Maurizio Damiano-Appia dans son Dictionnaire Encyclopédique de l’ancienne Egypte et des Civilisations Nubiennes, page 72 : « Bès était désigné sous les traits d’un pygmée – deneg en égyptien – et non d’un nain que l’on distinguait par le terme nemou. Les Pygmées étaient recherchés comme danseurs sacrés et Bès était aussi le dieu de la danse et des manifestations joyeuses ».

Des Pygmées exécutant une chorégraphie et des pas de danse, Égypte ancienne

Ces informations sont capitales car elles montrent que les Egyptiens ne confondaient pas le Pygmée (deneg) et le nain (nemou), et accordaient de l’importance aux Pygmées au point de les solliciter continuellement et de les diviniser. Si le Pygmée était recherché, c’est justement parce que celui-ci n’avait pas sa base dans l’aire géographique de la civilisation pharaonique même.

Ta Ntjer, aux origines de la divinisation des Pygmées

Pour rencontrer les Pygmées et s’approvisionner aussi en biens absents en Egypte et au Soudan (peaux de léopards, de panthères, de lions, encens, bois d’ébène, etc…)., il fallait aller dans les profondeurs du continent. Les Egyptiens et les Nubiens faisaient donc des voyages vers le cœur de l’Afrique. Ces voyages permettaient de maintenir les contacts, établir des relations diplomatiques avec les populations des profondeurs du continent.

On retrouve ainsi les traces des Egyptiens au Gabon, en RD Congo, au Zimbabwe. C’est dans ce cadre que le haut fonctionnaire pharaonique Herkouf fut envoyé à plusieurs reprises en mission sous les pharaons Mari-n-Ré (Merenré I) et Saré Pepi (Pepi II), vers une région du continent que les textes pharaoniques appellent le pays de Yam.

L’Egyptologue sénégalais Babacar Sall nous explique dans son article intitulé Herkouf et le pays de Yam que « la biographie de Herkouf nous apprend déjà que sous Isesi (5e dynastie), le trésorier BAOURDED avait ramené un Pygmée de Pount. Il n’en demeure pas moins qu’un Pygmée à la cour de Pharaon relevait de l’exceptionnel. Si celui apporté par BAOURDED provenait de Pount, le Pygmée que ramenait HERKOUF venait de plus loin du pays des esprits (Akhou). On est dans le territoire des Ethiopiens mythiques des textes grecs, c’est-à-dire ceux qui n’avaient pas perdu une communauté originelle avec les dieux. Tout ceci suggère une région au cœur de l’Afrique subéquatoriale, zone d’habitat des Pygmées. ». Il poursuit ses explications et montre que cette localité de Yam se situe « aux portes de la Centre-Afrique où habitent les Pygmées Aka. ».

C’est durant un de ces voyages qui duraient des mois au cœur du continent que Herkouf rapporta des présents et tributs qui lui avaient été versés, et retourna à la cour du Pharaon en compagnie d’un Pygmée, comme cela avait déjà été fait sous Isesi avant.

Ces informations provenant de la tombe d’Herkouf que rapporte Babacar Sall, nous montrent que les Africains de la vallée du Nil connaissaient bien ces régions au cœur du continent (grands lacs, régions centrales et équatoriales et allant même jusqu’au sud du continent). C’est dans ces mêmes régions – Pount, Yam, Akhou etc… – qu’il était possible pour nos ancêtres égyptiens de rencontrer nos ancêtres pygmées.

Fresque du temple de la pharaon Hatchepsout. On y voit une reine du pays de Pount rencontrée par les Egyptiens lors d’une de leurs multiples expéditions au cœur de l’Afrique. Pount se situerait en Ouganda actuel.

La civilisation pharaonique avait des contacts divers et continus avec les autres populations sœurs à l’intérieur du continent, et  cela était capital pour elle. Pourquoi ? Cheikh Anta Diop nous dit dans son livre Nations Nègres et Cultures, page 227, que : « Les Egyptiens eux-mêmes, si on leur accorde qu’ils étaient mieux placés que quiconque pour parler de leurs origines, reconnaissaient sans ambiguïté que leurs ancêtres venaient de Nubie et du cœur de l’Afrique ».

Le cœur de l’Afrique, lieu d’origine des Egyptiens, de l’humanité entière et des fondements de la civilisation, était appelé Ta Ntjer ou Ta Netjer, c’est-à-dire la terre de Dieu (Imana/Amen/Amon etc…), donc la terre sainte. C’est à Ta Ntjer (grands lacs, Afrique centrale et australe) que se trouvaient des zones comme Pount, Yam ou encore le pays des esprits des Ethiopiens mythiques dont nous parle Babacar Sall.

Puisque ces régions de Ta Ntjer étaient considérées comme originelles et divines, voilà pourquoi les Pygmées, habitant ces régions, ont été considérés comme les Êtres les plus divins.

Les Pharaons qui rencontraient les Pygmées les accueillaient avec tous les honneurs. Pourquoi ? Eh bien pour le savoir, nous devons analyser la figure du dieu Bès, puisque celui-ci représente le Pygmée.

Bès, le dieu pygmée

Le dieu Bès, Égypte ancienne. Son visage grimaçant ou effrayant servait à repousser les forces négatives et les mauvais esprits.

D’après l’égyptologue béninois Jean Charles Coovi Gomez, le nom Bès qui sert à désigner le dieu Pygmée se dit aussi Besi, Besou, Basè en langue pharaonique. Ce terme de Bes, Besi, Besou, qui sert de nom pour le dieu est le même terme qui désigne l’initiation dans la même langue. C’est ce même Basè qui désigne encore aujourd’hui le culte chez les Basaa du Cameroun, eux mêmes d’origine égyptienne.

Cela signifie que pour nos ancêtres de la vallée du Nil, le personnage du Pygmée, du fait de son ancienneté en Terre Sainte, était intimement lié à la notion d’initiation.

En d’autres termes pour les Egyptiens, les Pygmées étaient les plus anciens à avoir les connaissances, les plus anciens initiés et de ce fait étaient à la base même de l’initiation et de toutes les connaissances spirituelles. Les Pygmées étaient donc les initiateurs des initiés, et initiaient les plus hautes autorités de la religion en Egypte, y compris les Pharaons eux-mêmes. C’est pourquoi le dieu pygmée Bès porte le nom qui signifie l’initiation.

Le dieu pygmée Bès , Égypte ancienne. Il est revêtu de la peau de léopard qu’on peu voir autour de son cou, comme les prêtres pharaoniques dits Sem.

Bès était considéré comme un maitre de la protection. Par sa connaissance, il savait tout ce qu’il fallait faire ou ne pas faire pour protéger ou prémunir les Êtres humains de tous les dangers possibles de la vie (maladies, malheurs, forces maléfiques, esprits mauvais, animaux dangereux, imprévus, etc..).

Bès protégeant Horus enfant, c’est a dire le Pharaon lui même:

C’est ainsi que le dieu pygmée était présent partout dans les maisons où il devait protéger chacun y compris la nuit, en chassant les ondes négatives, les cauchemars, etc… Le dieu pygmée était porté au cou, au bras sous la forme d’amulettes, de colliers ou d’ornements qui accompagnaient nos ancêtres en divers moments de la vie.

En sa qualité de maitre protecteur, il devait être présent à tous les évènements importants de la vie, car sa présence bienfaisante garantissait le bon déroulement d’une journée et de tous les évènements et cérémonies (initiation, accouchements, mariages, fêtes religieuses et profanes, etc…).

Un cuillère de l’époque pharaonique à l’effigie de Bès

Bès était aussi considéré comme le maitre de la musique sacrée et de la chorégraphie sacrée. C’est lui qui connaissait le mieux les musiques et les danses qu’il fallait faire selon les cultes, les rites et les fêtes religieuses. On comprend mieux pourquoi les Egyptiens appelaient les Pygmées les danseurs d’Imana (Dieu).

Le dieu pygmée jouant de la musique et dansant. Philae, Égypte ancienne

Le pygmée Bès était aussi invoqué pour les guérisons et le traitement des maladies. Cela est normal car les Pygmées étaient vus comme les maîtres des forêts, ces lieux où ils avaient toujours vécu. En tant que tel ils avaient une grande connaissance de la nature et des plantes médicinales qui pouvaient soigner.

Inutile de dire qu’ils connaissaient aussi les animaux de la forêt et les techniques pour les chasser ou les apprivoiser.

Ainsi à travers la figure du dieu Bès, on comprend mieux la vénération du Pygmée par les Egyptiens et les Nubiens.

Le dieu Bès et sa parèdre (équivalent féminin) Beset

En ce qui concerne la culture même des Pygmées, ils ont les mêmes rites et coutumes que les autres populations du continent. Autrement dit les Pygmées enterrent les défunts, sont monogames, pratiquent la circoncision. Ils sont monothéistes avec un Dieu unique à double nature (mâle et femelle) qui se manifeste de plusieurs manières, exactement comme dans la civilisation pharaonique et dans le reste de l’Afrique authentique.

Pygmée Baka, Cameroun

D’où vient l’image dégradée des Pygmées ?

A la fin de la civilisation pharaonique, devant la poussée des envahisseurs perses, grecs, romains et arabes, les Noirs de grande taille (Anou) ont dû abandonner leur habitat de la vallée du Nil et chercher de nouvelles terres dans le reste de l’Afrique. En se dispersant ils ont quelquefois rencontré les Pygmées qui sont donc devenus des adversaires pour l’accès aux ressources, guerroyant même avec eux. Les Pygmées ont été souvent vaincus et repoussés encore plus loin dans la forêt.

C’est là qu’a commencé la dégradation de l’image du Pygmée sous les yeux des Anou arrivés en Afrique centrale et australe, qu’on appelle aujourd’hui Bantous. Le statut sanctifié des Pygmées à l’époque pharaonique a été oublié. On a commencé à les regarder, en raison de leur taille, avec des yeux méprisants.

Les Européens en arrivant sur le continent se sont mis, avec l’oeil racialiste, à étudier les Pygmées. Pendant longtemps cette morphologie qu’ont ces derniers a fait penser à des Occidentaux recherchant les origines de l’humanité, que les Pygmées seraient ce qui reste des plus anciennes populations de pré-humains (ex : homo erectus, etc…), qui eux aussi étaient de petite taille.

Au vu de leur morphologie, ils ont été l’objet de nombreux tests et expériences à l’époque coloniale afin de vérifier leurs capacités intellectuelles, etc…. L’Occident colonial les prenait pour des populations arriérées et primitives, etc… Il est pourtant acquis que les Pygmées sont des humains modernes au même titre que nous tous et non des chainons intermédiaires dans l’espèce humaine.

Ota Benga, Pygmée de RD Congo et un des symboles de la déshumanisation du Pygmée à l’époque coloniale. Il fut exposé au zoo du Bronx à New York et encagé avec des animaux. Désespéré de ne pouvoir rentrer au Congo et devenu dépressif, il se suicida en se tirant une balle dans la poitrine en 1916.

Aujourd’hui les Pygmées vivent majoritairement sous la forme de communautés diverses qui se trouvent dans les forêts comme autrefois. Parfois sédentaires, parfois semi nomades, Ils vivent de chasse, de pêche, de cueillette et d’agriculture et possèdent des relations souvent inégales avec les Bantous.

Beaucoup pensent que les Pygmées sont arriérées, illogiques, des sous-humains encore plus bas que les Noirs en général. Les Pygmées sont aujourd’hui victimes d’un mépris absolument désolant. Leur sort ne semble intéresser personne sur le continent.

Les politiques quant à eux, ne se gênent pas pour détruire leurs milieux naturels quand des ressources naturelles à exploiter s’y trouvent. Les Pygmées n’ont aucune voix ou presque dans le fonctionnement des Etats d’Afrique centrale et des Grands Lacs où ils vivent.

Mais même malgré cette déconsidération, il est connu de tous que les Pygmées sont des guérisseurs hors pair avec une connaissance très avancée des plantes médicinales. Des initiés bantous continuent à les regarder comme détenteurs de secrets spirituels. On continue ainsi à les solliciter dans ces sens.

Cette réputation en médecine est parvenue aux oreilles de l’Occident et ses firmes pharmaceutiques. Bon nombre de laboratoires envoient leurs hommes les étudier, dans le but de percer leurs connaissances afin de se les approprier. Les Pygmées appauvris, se laissent souvent tenter à révéler leurs savoirs en échange de biens dérisoires.

Pygmées faisant la chasse

Quelles solutions

  • Il faut faire connaitre à tous le passé des Pygmées et leur rendre ainsi leur valeur historique.
  • La Spiritualité Africaine, qui renait actuellement, devra dans son organisation cléricale, donner une place particulière aux Pygmées, conforme à leur rôle historique.
  • Des mesures doivent être prises pour sauvegarder, protéger jalousement et développer les connaissances des Pygmées.
  • Les Pygmées doivent pouvoir gérer leurs territoires et avoir un pouvoir de décision dans les Etats africains. Cela est possible avec le système ancestral basé sur la Maât et le fédéralisme ethnique
  • Il faut que les Bantous changent dans leur approche aux Pygmées. Les abus verbaux et discriminations en toute sorte doivent cesser. Des actions publiques d’éducation surtout, mais aussi de punition s’il le faut, doivent être engagées pour rétablir le respect et l’entente entre tous.

Nous ajoutons que chaque Être humain est un Être humain. Même si les Pygmées n’avaient pas la place qu’ils ont eu dans notre histoire, en tant qu’Êtres humains déjà, ils méritent le respect. Cela doit être une règle sacrée.

Les inventions les plus anciennes concernant l’apparition des fondements de la civilisation, trouvées en Afrique du sud surtout, sont en partie l’oeuvre des Khoisans. Les Deneg (Pygmées) ont détenu les connaissances spirituelles les plus profondes. Les Anou ont développé tous ces legs et bâti la civilisation pharaonique. Nous avons tous participé à l’apparition de la civilisation africaine et l’historicité de cet effort commun doit nous permettre de bâtir un destin commun dans l’entente sincère et le respect.

C’est ici le lieu de rendre hommage à Victor Bissengué qui suite à ses recherches sur les Pygmées, a publié 3 ouvrages majeurs afin de mieux les faire connaitre à tous !

Livres très importants de Victor Bissengué

Pour finir laissons les Pygmées parler eux-mêmes, à travers leurs propos rapportés par le Révérend Père Trilles dans son ouvrage intitulé : Les Pygmées de la forêt équatoriale, page 25 : « nous sommes petits, petits, nous sommes petits entre les petits. Mais nous sommes les « Hommes », les maîtres du temps, les maîtres de la terre, les maîtres de tout. »

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Culture
  • Babacar Sall, Herkouf et le pays de Yam, article paru dans la Revue Ankh 4/5
  • Victor Bissengué, Contribution a l’histoire ancienne des pygmées : L’exemple des Aka
  • Victor Bissengué, Discrimination des pygmées, réfutation des maitres de la foret
  • Maurizio Damiano-Appia dans son Dictionnaire Encyclopédique de l’ancienne Egypte et des Civilisations Nubiennes
  • Le pape et les Pygmées. A la recherche de la religion première. Article de Jean Francois Dortier paru dans Les grands dossiers des sciences humaines 2006/12 (N°5) page 2
  • R.P. Trilles, Les Pygmées de la forêt équatoriale
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