Oui, il est important de se dire et de s’identifier comme « Noir »

Peut-on se dire Noir ou parler véritablement de Peuple Noir ? Pourquoi tant de personnes ayant la peau noire ont-elles choisi cette couleur comme élément identitaire ? Quand avons-nous commencé à nous dire ou nous définir comme Noirs ? Quelle est la pertinence encore aujourd’hui de cette orientation identitaire et sa place pour l’avenir ? C’est à cela que va répondre cet article.  

Les baGanda d’Ouganda, les Yoruba du Nigéria-Bénin, les Ovimbundu d’Angola, les Africains-Colombiens, les Africains-Américains
On voit ici des traits culturels qu’on retrouve chez tous les Noirs d’origine africaine : la joie de vivre et la connection spirituelle aux vibrations musicales
C’est l’environnement africain et Maât, c’est à dire la philosophie de toute l’Afrique, qui ont engendré ces traits culturels

La Vallée du Nil 

Contrairement à ce que beaucoup peuvent croire, l’identité dite noire ne commence pas avec le regard des autres sur nous pendant la traite et la colonisation. Les Africains mêmes s’identifiaient déjà comme Noirs au temps des Pharaons. Nos ancêtres de la Vallée du Nil utilisaient la racine Kem ou Kam, qui veut dire Charbonné, Cuit, Brulé, Noir. Ce qui est équivalent à Kama/ Khem/ Keumbou/ Kala/ Aka qui signifie la même chose dans de nombreuses langues africaines actuelles.  

Les Egyptiens anciens avaient érigé leur couleur de peau au rang d’élément le plus central de leur identité. Ils appelaient ainsi leur pays Kemet (Le Pays Noir), ou Kemmiou (Le pays de ceux qui sont noirs). Ils se nommaient eux-mêmes Kami ou Kamit, c’est à dire les Noirs. 

Pourquoi ? Très certainement, comme nous l’avons expliqué, en raison de la sacralisation du Soleil dans la Spiritualité Africaine. Le Soleil étant le Messager de Dieu, le Soleil donnant la peau noire aux Egyptiens, alors leur couleur était la marque du Divin sur eux. Et cette couleur de peau était regardée comme hautement positive et sacrée, d’où la représentation de Dieu et des divinités en noir.

Imana/Amen, Dieu unique de l’Afrique représenté ici sous sa forme masculine dans le temple d’Hatchepsout.
Ramessou Maryimana (Ramsès II)
De son vivant, il fera une prière vibrante à Imana, lui demandant de protéger les Noirs
Depositphotos.

Cette manière de se penser et de se concevoir soi-même, a essentiellement disparu à la fin des civilisations de la Vallée du Nil. Désormais, on n’était plus noir que sous le regard des autres. A la basse antiquité, le mot grec Ethiopien, signifiant Visage brulé, allait être utilisé par les Européens pour désigner tous les Noirs. Ensuite viendra le mot romain Maure, c’est à dire Noir. Les Arabes quant à eux, utiliseront le mot Soudan qui signifie aussi Noir.  

L’Afrique impériale et la traite européenne 

A l’époque impériale se sont formés partout en Afrique des chefferies, des royaumes, des empires. En ces temps, les Africains ne se désignaient que par rapport à leur nation ethnique et leurs religions quand il s’agissait de l’islam ou du christianisme. Le Vitalisme (Animisme) africain pour sa part, se fondait dans l’identité ethnique. Il n’y avait donc pas le besoin de mentionner sa pratique en particulier.

On était Mandinka, ou Mandinka et musulman, Kongo ou Kongo et chrétien, Oromo, Yoruba etc… mais on n’était absolument pas noir ni même africain. Ainsi il y avait un sentiment de fraternité entre membres d’une même ethnie, ou entre Chrétiens, ou entre Musulmans, mais certainement pas entre Noirs ou Africains.  

Au vu donc des mentalités d’alors, dire que “les Noirs vendaient leurs frères” n’a absolument aucun sens. Déjà il faut rappeler qu’une quinzaine de royaumes et empires refusant la traite ont été démolis par les Portugais. Pour les Etats restant qui commerçaient des Êtres humains avec les Européens, la grande majorité des personnes qu’ils vendaient étaient des captifs issus d’autres nations ethniques. Ils ne vendaient donc absolument pas leurs “frères noirs” mais des étrangers.

Un commerçant d’une ethnie ne voyait absolument pas une personne d’une autre ethnie comme son frère noir qu’il vendait, mais comme un étranger avec qui il n’avait presque rien en commun.  

Les plantations en Amérique   

C’est donc par bateaux que les Africains sont arrivés en Amérique pour être soumis aux horreurs de l’esclavage. Leurs noms ont été dans la violence remplacés par les noms des esclavagistes européens. Les enfants déportés ou nés sur place étaient arrachés à leurs parents pour être vendus séparément. Et encore les enfants étaient issus de parents venus de différentes régions d’Afrique.  

Tout cela a fait que finalement, une très grande partie des personnes mises en esclavage en Amérique ne savaient plus de quelle nation ethnique elles étaient issues. Elles savaient juste qu’elles venaient de ce continent que les Européens connaissaient sous le nom Afrique.  

A cela s’ajoutaient les préjugés abominables construits autour de leur couleur de peau pour justifier leur mise en esclavage, et le traitement d’une violence formidable qui allait avec. Ainsi, un sentiment de communauté et de fraternité basé sur leur origine africaine, leur peau noire et leur traitement catastrophique a commencé à apparaitre. Et c’est très justement sur ces 3 piliers, qu’est née l’identité noire moderne

C’est la mise en esclavage des Africains en Amérique qui a fait naitre l’identité noire moderne.

Marcus Garvey et le Panafricanisme

C’est à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle en Amérique que nait le panafricanisme, courant de pensée qui commencera la libération du monde noir. Il s’agissait, devant l’oppression extraordinaire, d’unir toutes les personnes noires et originaires d’Afrique pour parvenir à la liberté et la justice.

Pour les Africains sur le continent, la violente colonisation apportait aussi sur place, toute la pensée extraordinairement raciste développée pour justifier l’esclavage. Le même traitement a donc entrainé ici aussi un sentiment de fraternité.  

Face à l’adversité de la colonisation et de la pensée de la Suprématie Blanche qui les réduisaient au rang de sous-humains, les Africains devaient comme en Amérique se définir comme Noirs et s’unir en tant que tels, en embrassant les objectifs du panafricanisme outre-Atlantique.   

Le jamaïcain Marcus Garvey, figure la plus emblématique du mouvement panafricaniste, va définir plus profondément les buts du mouvement : Un peuple noir uni sous un Dieu et qui doit bâtir un empire puissant en Afrique. Garvey avance ici deux points nouveaux et cruciaux :  

  • Le besoin d’une religion ou d’une culture commune pour faire naitre un sentiment de fraternité entre Noirs. 
  • L’édification d’un grand Etat en Afrique, pour protéger les Noirs d’Afrique et d’Amérique. 
Marcus Garvey lors d’un rassemblement de son mouvement panafricaniste UNIA
A droite de l’image en lunettes c’est Earl Little, le père de Malcolm X.
Le drapeau panafricaniste, le drapeau qui doit rassembler tous les Noirs du monde entier jusqu’à nos jours, a été conçu par Marcus Garvey et adopté le 13 Aout 1920 par l’UNIA
Le rouge est le sang qu’il faut verser pour libérer l’Afrique et le monde noir, le Noir la couleur de peau, le vert est la richesse naturelle de l’Afrique.

Si Garvey met en avant le besoin d’une culture commune pour les peuples noirs, lui qui ne mettra jamais pied en Afrique, ne saura dire comment la construire. Et c’est donc pour faire progresser la pensée panafricaniste et combler ses lacunes qu’est intervenu Cheikh Anta Diop. 

Cheikh Anta Diop et l’Afrocentricité 

Cheikh Anta Diop arrive en Europe dans les années 40, et évolue au sein des mouvements panafricanistes influencés par Marcus Garvey. Plus que la fin immédiate de la brutale colonisation contre laquelle il est engagé, il a le regard fixé sur les objectifs à long terme du panafricanisme.  

Il va donc à la recherche de cette racine commune des Noirs que cherchait Marcus Garvey. Identifiant la civilisation égyptienne comme noire, comme sommet de l’expérience africaine, comme origine de nombreux peuples africains, et réalisant que les Noirs partagent fondamentalement la même culture que celle de l’Egypte, alors pour Diop, c’est autour de l’héritage de cette civilisation que se construira l’unité des Noirs. Suivant les deux thèmes définis par Marcus Garvey, Diop et ses suivants dits du mouvement afrocentrique, arrivent aux conclusions suivantes : 

  • Le sentiment de fraternité entre Noirs se fera autour : du culte vitaliste du Dieu unique Imana et sa loi Maât, déclinée dans tous les aspects culturels de la vie. 
  • L’Etat unique sera un Etat fédéral regroupant tous les Etats noirs d’Afrique, et dont le fondement institutionnel sera Maât.  
Cheikh Anta Diop avec à droite le drapeau panafricaniste revu en ajoutant la croix d’Ankh ou croix de vie. L’Ankh symbolise la vie qui continuera tant que Maât sera appliquée. Ankh est le symbole suprême de la pensée et donc de l’identité africaine.

Diop acceptera ensuite le KiSwahili comme langue fédérale de cet Etat à venir. Tout en gardant et en intégrant les spécificités culturelles et linguistiques de chaque peuple noir, l’Afrocentricité définit les bases de la communauté identitaire de tous les Noirs, et fait progresser clairement les objectifs du panafricanisme en proposant un projet concret.

Et aujourd’hui ? Faut-il encore se définir comme Noir ? 

Mis à part si vous vivez isolé dans une communauté noire, sans médias et peu ou pas touchée par la Suprématie Blanche venue de l’esclavage et du colonialisme, vous avez ou vous allez subir le racisme. Que ce soit des allusions insultantes, des micro-agressions, le paternalisme, des discriminations, voir le mépris ou la haine clairement affichés dans un sentiment euphorisant de supériorité, cela va vous arriver. Le respect humain le plus total, sans ambiguïtés, n’est le fait que de la minorité.

Le reste du monde nous perçoit généralement comme les derniers des humains, voir les sous-humains par excellence, alors que nous sommes les civilisateurs de l’humanité.  

Le fait d’avoir été chassé de l’histoire de la civilisation, notre culture rabaissée voir diabolisée à l’extrême, notre physique regardé comme contraire de la beauté, le sous-développement actuel de l’Afrique avec ses causes internes et externes, tout cela fait que nous nous regardons souvent et nous sommes regardés comme inférieurs.  

Si vous ne vous définissez donc pas vous-même comme Noir et rendez toute sa positivité afrocentrique à cette identité, les autres vont continuer à vous définir comme tel et vous rabaisser, voir vous détruire mentalement, dans leur définition. Il faut vous approprier positivement l’identité noire avant qu’elle ne soit utilisée contre vous. A partir du moment où vous entrez en contact avec le reste du monde, la neutralité sur le sujet est simplement impossible. Il faut choisir.  

En tant que Peuple Noir ou Peuples Noirs, Nous avons une origine commune qui est l’Afrique, un fond identitaire originel et commun qui est Maât, et nous sommes attaqués de la même manière par la Suprématie Blanche. L’identité noire est toujours pertinente.  

Donc oui il faut être Noir pour être fort dans le monde d’aujourd’hui qui est très agressif pour nous, mais surtout il faut poursuivre les objectifs du panafricanisme et de l’afrocentricité pour nous protéger durablement, et créer un espace de bonheur pour nous. 

Pour en savoir plus sur Maât, cliquez ici
Pour en savoir plus sur l’Afrocentricité, cliquez ici  

Hotep ! 

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)     

Partager
Twitter
Partager
Partager
error: Content is protected !!
Retour en haut