« De ce moment et à jamais,
Affranchi de toute sujétion, de toute entrave,
Maître de ton destin,
Togo, mon pays, te voilà libre enfin,
Libre d’être toi-même,
De suivre tes idées et tes inclinations,
De choisir selon ta raison et tes sentiments,
De décider d’après ta propre volonté,
Libre enfin,
Dans la dignité retrouvée,
De prouver et d’affirmer ta personnalité.»
C’est par ces mots pleins d’émotion que Sylvanus Olympio déclara l’indépendance du Togo le 27 Avril 1960. Nous allons vous parler de cet homme au parcours singulier, de son œuvre et de sa terrible fin, qui en font le premier président africain assassiné et le premier tombé sur le champ du combat contre le franc CFA.
Des origines et un parcours atypiques
Le grand-père paternel de Sylvanus Olympio fut un négrier brésilien d’origine portugaise et amérindienne, sa grand-mère paternelle une princesse Yoruba du Nigéria. Son père métis s’installa du Brésil au Togo à 19 ans, où il fit fortune dans le commerce, et s’unit avec une femme Mamprusi du pays, mère du président.
Sylvanus Epiphanio Kwami Olympio naît au sein d’une riche famille en 1902 à Kpando au Togo sous colonisation allemande. Après la première guerre mondiale, comme le Cameroun, le pays fut divisé en deux parties. L’ouest mis sous tutelle britannique – où était né le président – et l’est sous-tutelle française. Cet acte divisa de facto le peuple Ewé au sud sous deux entités.
Olympio part à 18 ans en Grande Bretagne où il obtient un diplôme d’économie, avant de se former en droit en France et en Autriche. Engagé dans la multinationale Unilever en Angleterre puis au Nigéria, il revient au Togo français en 1932 à un très haut poste dans l’entreprise, ce qui est une première pour un homme noir à l’époque. Grâce à son statut, il devient président de la chambre de commerce de Lomé. C’est là que va commencer son engagement politique.
Un long chemin vers l’indépendance
Sylvanus Olympio participe à la rédaction du journal politique Le guide du Togo. Il co-fonde l’association Comité de l’Unité Togolaise (CUT), qui se transforme en mouvement politique réclamant l’indépendance et la réunification du pays. Il est emprisonné en 1942 par la France sous tutelle allemande, en raison de ses liens avec les Britanniques ennemis d’Hitler.
En 1946, prenant le vent indépendantiste qui balaie l’Afrique, le CUT devient officiellement un parti politique et rafle les élections les unes après les autres. Mandatés par les Ewé des deux Togo, Sylvanus Olympio se rend à l’ONU chaque année plaider la réunification du pays. Sous la pression de la France, Unilever le mute à Paris, où sommé par son employeur de choisir entre la politique et sa carrière, il démissionne pour servir le Togo.
La France le sabote sans cesse et truque les élections pour donner l’avantage au parti PTP de Pedro Olympio et Nicolas Grunitzky, respectivement cousin et beau-frère de Sylvanus Olympio.
En 1956 le Togo britannique choisit par référendum de s’unir au Ghana actuel. Le rêve de réunification vole en éclat. Olympio perd la partie du Togo dont il est originaire. Cette décision empoisonnera pour toujours ses relations avec Kwame Nkrumah. Olympio s’opposera quasi systématiquement au président ghanéen, voyant dans l’ambition continentale de celui-ci une tentative de domination.
De nouvelles élections libres confirment la domination du CUT. Sylvanus Olmpio devient premier-ministre du Togo autonome en 1958. La France, qui exploite pourtant sans partage le pays, lui demande le remboursement de 800 millions de Francs de l’époque pour les dépenses soit disant engagées pour la colonisation. Olympio, déterminé à se débarrasser de l’influence française, met au travail les Togolais pendant 2 ans et verse la somme à la France. Le 27 Avril 1960, le pays accède à l’indépendance avec le natif de Kpando comme premier président.
La présidence de Sylvanus Olympio
Sylvanus Olympio se caractérise par une gestion admirable de l’argent public. Le président occupe aussi le poste de ministre de l’économie et c’est un Togo financièrement sain qui vit ses premières années. Sur le plan politique, il fait interdire le parti allié Juvento et met aux arrêts ses adversaires politiques, suite à la découverte dit-on d’un complot contre lui. Son beau-frère et adversaire Nicolas Grunitzky s’exile en France. Le président est accusé de dérive autoritaire.
Sylvanus Olympio développe des relations étroites avec le Nigéria et le Bénin, ainsi qu’avec les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne. C’est en 1962 qu’il promulgue la fondation de la Banque Centrale du Togo, en préparation de la création d’une monnaie nationale. Un plan qui va lui coûter la vie.
L’hostilité de la France envers Olympio
Suivant le plan du président français De Gaulle et de son chargé des affaires africaines Jacques Foccart, c’est sous le joug économique, militaire et culturel de la France que les anciennes colonies devaient accéder à l’indépendance.
Sylvanus Olympio ne correspondait absolument pas au profil de l’homme qui se soumettrait à ce nouvel ordre. Il était un Africain et togolais fier, avec des origines brésilienne et nigériane, avait été éduqué en anglais et en allemand, était marié à une togolaise de père germano-polonais, et avait des affinités avec les Américains. Il était à l’opposé des présidents Léon Mba du Gabon ou Senghor du Sénégal qui – on dira poliment – étaient admiratifs de la France. Olympio était tout sauf subjugué par la France.
Déterminé à casser la main-mise coloniale sur son pays – jusqu’à, sacrilège, renier les accords de défense – il avançait ses pions, intelligemment, sans agressivité contrairement à Sekou Touré de la Guinée. Autant dire qu’il glissait entre les griffes de la Françafrique. Sa décision de sortir du Franc CFA et de créer une monnaie en collaboration avec l’Allemagne, fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
En 1962, des militaires togolais ayant servi pour la France pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, rentrent au pays et réclament leur intégration dans l’armée, soutenus par l’envoyé de Jacques Foccart au Togo et par Henri Mazoyer, ambassadeur de France à Lomé. Parmi eux, Gnassingbé Eyadema. Le président, méfiant, refuse. Le prétexte est trouvé pour mener le coup d’Etat.
Lomé, du 12 au 13 Janvier 1963
A 23h des hommes armés, parmi lesquels Eyadema, arrivent au domicile du président, gardé seulement par 2 policiers. Ils mettent du temps à défoncer la lourde porte d’entrée, permettant à Sylvanus Olympio de fuir en bermuda et chemise. Il escalade le mur qui le sépare de l’ambassade des Etats Unis et s’installe dans une voiture garée dans la cour. Les assaillant tirent partout dans la maison et menacent la première dame Dina Grunitzky-Olympio, qui leur dit qu’elle ne sait pas où est allé son mari.
Appelé par l’ambassadeur de France qui lui demande si Olympio ne s’est pas réfugié chez lui, l’ambassadeur des États-Unis arrive en pleine nuit pour vérifier. Il croise les putschistes dans la rue. Il rencontre Sylvanus Olympio dans la cour de l’ambassade puis entre dans le bâtiment, laissant le président et lui conseillant de ne pas bouger. Les coups de téléphone depuis l’ambassade de France à Lomé, Paris et Washington affluent, le sort du président est scellé.
A 6h du matin, la radio française France Inter annonce la mort de Sylvanus Olympio par coup d’Etat, alors qu’il est toujours vivant. Le président est sorti de l’enceinte par les assaillants guidés par les français, et est placé devant le portail, pieds nus. Puis il est conduit au Régiment français interarme.
A 7h15 Sylvanus Olympio est fusillé de 3 balles et meurt. Qui a tiré ? Gnassingbé Eyadema dira que c’était lui, s’en ventera devant les médias du monde entier, avant de se rétracter en 1992. Certains parlent du commandant Maîtrier lui-même, envoyé de Foccart. Le père de l’indépendance du Togo est mort ! Il est enterré plus tard à Agoué au Bénin, au cimetière des Africains-Brésiliens.
Suite à son décès, le pro-français Nicolas Grunitzky prendra pour 4 années le pouvoir avant d’être déposé par un coup d’Etat de Gnassingbé Eyadema. Depuis 1967, la famille Gnassingbé avec aujourd’hui Faure Gnassingbé, son fils, règne sur un des pays les plus pauvres du monde et qui n’a jamais connu le bien-être économique que son père voulait lui donner.
Sylvanus Olympio est le premier d’une longue liste de chefs d’Etat africains à avoir été assassiné à l’ère des indépendances, le 2e haut dirigeant politique après Lumumba, et le premier à être mort pour s’être opposé au Franc CFA, avant Modibo Keita du Mali.
La voix et la confiance de Sylvanus Olympio lors d’une interview aux États-Unis :
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :