Le premier président du Mozambique reste une figure centrale des indépendances. Nous allons vous parler de cette légende africaine considérée dans son pays comme père de la nation.
Le Mozambique avant les Européens
« (…) Une foule grouillante habillée de soie et de velours, de grands Etats bien ordonnés, et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moelle des os ! Et toute était semblable la Côte orientale, la Mozambique par exemple » [1]. C’est ainsi que l’historien allemand Léo Frobenius décrivait le Mozambique avant la traite négrière européenne, à partir des témoignages d’époque.
Le pays était une partie de l’empire du Mwene Mutapa et les importantes richesses minières de l’Afrique australe s’écoulaient par son port de Solafa pour être échangées avec les pays d’Asie de l’Est et du monde arabe. Les anciens Mozambicains, très hautains et sûrs de leur civilisation, avaient des bateaux pour leur commerce international.
Les villes mozambicaines péricliteront avec l’arrivée des esclavagistes portugais. Après une résistance absolument héroïque pendant des décennies, le pays fut soumis à la loi féroce des Européens. On estime à 1 000 000 le nombre d’Africains qui ont été déportés depuis le territoire [2]. Après cette saignée, le Mozambique devint officiellement colonie portugaise en 1891.
L’enfer colonial
« Les Noirs en Afrique doivent être dirigés et organisés par les Européens (…) et être regardés comme des instruments de productions organisés ou faits pour être organisés par une économie dirigée par les Blancs » Marcelo Caetano, ministre des colonies puis président du conseil des ministres du Portugal [3].
La philosophie coloniale des Portugais fut différente de celle des autres nations européennes. Les Portugais présents depuis 400 ans en Afrique, considéraient le Mozambique, l’Angola, la Guinée Bissau et Cap Vert, et Sao Tomé comme faisant partie de leur Etat multicontinetal. Refusant de se faire appeler puissance coloniale, ils ne se différenciaient pourtant pas des pratiques inhumaines des Britanniques, des Français, des Belges et des Allemands.
Avec l’aide de multinationales, le gouvernement de Lisbonne arrachait les terres des Africains, les mettait en esclavage à travers le travail forcé, rackettait les populations à travers l’impôt colonial, écrasait les peuples réfractaires à son autorité, renommait les lieux et personnes en portugais, favorisait l’immigration de milliers de Blancs pour occuper les hauts postes, contrôlait les déplacements des Africains sur leur propre territoire. Un inacceptable système d’apartheid fut institué. En 1950, seuls 4000 Mozambicains sur 5,7 millions avaient le droit de vote.
Samora Machel, aux origines d’un engagement
Né en 1933, Samora Moises Machel est le petit-fils d’un partisan de Ngungunyane, opposant historique aux portugais. Machel est issu d’une famille de fermiers qui a subit les lois de la ségrégation coloniale. Classifié comme indigène, il est éduqué dans une école catholique et devient infirmier à Lourenço Marques (aujourd’hui Maputo), occupant un des quelques emplois ouverts aux Noirs.
Il proteste contre les bas salaires des infirmiers noirs. Il n’en finit plus de voir les Blancs s’approprier les terres. Son frère part travailler dans les mines en Afrique du Sud où il meurt. Gagné par les idées anticoloniales, Samora Machel se rapproche du Frente de Libertação de Moçambique (Frelimo), le parti indépendantiste fondé par Eduardo Mondlane. Surveillé par la police, il décide de partir en 1962 rejoindre le Frelimo en exil en Tanzanie, qui y est basé sous la bienveillance du président Nyerere.
La guerre de libération
Après deux années de négociations infructueuses avec le gouvernement colonial, Eduardo Mondlane décide de transformer le Frelimo en un puissant mouvement armé. Il bénéficie du soutien de l’Union soviétique, de la Chine et de Cuba qui lui fournissent des armes. Ses hommes dont Samora Machel, reçoivent en Algérie un entraînement militaire.
Depuis la Tanzanie voisine, Mondlane lance ses armées sur le nord du Mozambique, aidé par les peuples révoltés par des siècles de maltraitance. Les portugais répondent par des crimes innommables. Mondlane envoie ses hommes par petits groupes pour disperser les forces ennemies, profite de la mousson et de ses mines sur le terrain, infligeant des pertes aux Européens démoralisés par ses méthodes de guérilla.
Mondlane est tué par un attentat à la bombe fomenté par les Portugais en 1969. Samora Machel prend la tête du Frelimo et tient tête aux contre-offensives portugaises. Pendant 4 ans, avec une grande intelligence et de l’armement lourd, il continue l’offensive et enfonce ses armées toujours plus au sud. Le Frelimo poursuit son avancée irrésistible et traverse le fleuve Zambèze, mettant les Portugais en panique.
En 1974, les militaires blancs épuisés par les guerres coloniales en Afrique, renversent le régime dictatorial du président Salazar à Lisbonne lors de la révolution dite des œillets. Machel négocie l’indépendance et fait partir la forte minorité blanche. Depuis la Tanzanie, il entre dans le pays et le traverse du nord au sud dans la liesse. Après 5 siècles d’occupation, les Mozambicains retrouvent la liberté.
Machel, le président communiste et panafricaniste
Doté d’une idéologie communiste qu’il s’est forgé aux côtés de Mondlane et de ses alliés étrangers, le président Samora Machel nationalise l’économie, rend les terres aux Noirs. La santé devient gratuite et l’éducation est développée. Les Noirs sortent des ghettos pour occuper les appartements en centre-ville désertés par les Portugais. Charismatique, le président est un orateur surdoué et pétri d’un sourire, d’un charme, d’un humour et d’une espièglerie à toute épreuve. Machel envoûte son pays et l’Afrique. Mais il sait aussi être impitoyable en faisant mourir des milliers de personnes qu’il considère comme traîtres à la nation.
Le Mozambique constitue avec la Tanzanie et la Zambie la fameuse ligne de front, qui apporte son soutien à l’ANC, au ZANU zimbabween et au SWAPO namibien. L’objectif étant de débarrasser l’Afrique australe des pouvoirs coloniaux anglais et hollandais. Machel s’attire les foudres des Blancs. Ces derniers montent un mouvement, le Renamo, constitué de Portugais déchus et de Mozambicains ennemis au Frelimo. La guerre éclate entre le Renamo et le Frelimo. Machel signe alors un accord de non-agression avec l’Afrique du Sud. Il renonce à soutenir l’ANC en échange de la fin du soutien du gouvernement de l’apartheid au Renamo.
La mort suspecte
L’hostilité profonde de Samora Machel envers les gouvernements racistes, l’exemple d’une réforme agraire et d’une idéologie communiste voisine de l’Afrique du Sud capitaliste, vont maintenir l’inimitié du gouvernement de l’apartheid à son égard. Samora Machel participe en Zambie à une réunion visant à faire pression sur Mobutu et le président malawite Kamuzu Banda pour qu’ils arrêtent de soutenir l’apartheid et ses alliés locaux.
Au retour, l’avion du président se crashe dans l’espace aérien sud-africain. Nous sommes le 19 Octobre 1986, il meurt à 53 ans. Bien qu’il n’y ait aucune certitude à ce jour, beaucoup pensent que les colons hollandais seraient derrière cet accident.
L’héritage de Samora Machel
La guerre entre le Frelimo et le Renamo va continuer jusqu’en 1992, faisant près d’1 million de morts. La fin du conflit coïncide avec la fin du régime de l’apartheid. Le Frelimo qui a remporté toutes les élections présidentielles depuis l’indépendance, dirige toujours le pays. Les régimes racistes au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en Namibie sont politiquement tombés.
L’image de Samora Machel est celle d’un homme charismatique, sincèrement anticolonialiste, contre l’injustice sociale, contre le tribalisme, d’un panafricaniste. Il est avec Eduardo Mondlane le père de la nation mozambicaine et reste une des plus grandes figures des indépendances africaines.
La voix de Samora Machel :
A luta continua (La lutte continue) !!!!
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Amigos de Mocambique
- Encyclopaedia Britannica
- Oxford Bibliography
- [1] Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop, page 343
- [2] Mozambique ; James Fearon et David Laitin (University of Stanford)
- [3] Portuguese colonialism in Africa, the end of an era ; Eduardo de Sousa Feirrera, page 11