Il y a un siècle, ce jamaïcain à la force inouïe, prenait la tête du mouvement qui allait aboutir aux indépendances africaines.
Aux origines d’un engagement
Marcus Mosiah Garvey nait le 17 août 1887 à St Ann’s Bay en Jamaïque. Il est un des deux enfants ayant atteint l’âge adulte dans une fratrie de 11. Son père est un chrétien lettré qui lui transmet le gout de la lecture. A 14 ans, il travaille dans une imprimerie et il se révèle tôt chez lui une envie de lutter contre l’injustice et l’inégalité. En 1907, il participe à la première grève des syndicats des imprimeurs jamaïcains qui lui vaut de figurer sur une liste noire puis d’être licencié.
Il part travailler en Amérique centrale et en Amérique du Sud où il découvre, horrifié, les conditions des employés noirs de la région et ceux venus des Antilles. Il dit « Partout, le Nègre est marginalisé, maintenu de force au bas de l’échelle sociale de l’humanité, parce que noir. Sans la moindre considération, ni pour ses qualités humaines, ni pour ce qui pourrait être son intelligence ou ses dons. Nulle part, le Nègre ne jouit de la moindre dignité humaine ; partout, il est serf, esclave »
Garvey syndicalise les travailleurs africains et donne de la voix dans des journaux dissidents. Il est expulsé par les autorités du Costa Rica et retourne à la Jamaïque où il continue son activisme.
La naissance d’une pensée
Il part pour Londres, capitale de l’empire britannique, où il pense avoir plus d’impact. Il donne des discours dans la rue. Il est marqué dans son parcours par la lecture de Up from slavery de l’activiste africain-américain Booker T. Washington. Il en sort convaincu que l’émancipation scientifique et économique est fondamentale pour relever le monde noir.
En contact avec des Africains du continent, il intègre les terribles injustices commises par les colons en Afrique tout en haut de ses préoccupations. Il prend des cours de droit et de philosophie et est sous la tutelle du Noir d’Egypte Dusé Ali Mohammed qui lui donne des bases en histoire africaine. Garvey apprend ainsi que l’Egypte et Carthage étaient des civilisations noires, et que les Africains avaient civilisé et dominé le monde pendant 3000 ans.
C’est avec les idées affinées et dopé par la conscience historique africaine, qu’il fonde l’UNIA-ACL – Association universelle pour l’avancement des Nègres-League de la communauté africaine -. Le but de son mouvement : Libérer l’Afrique du colonialisme et faire du continent un empire politique, économique, industriel, militaire et la terre promise pour tous les Africains du monde. La devise est Un but, un Dieu, un destin. C’est aux États-Unis qu’il va donner à l’UNIA toute sa puissance.
UNIA, l’apogée du Garvéyisme
Marcus Garvey découvre aux USA une terre de contraste : un racisme d’une violence extrême et un pays d’opportunité où les Noirs s’en sortent le mieux. Il parcourt 38 Etats et son charisme formidable fait mouche. Avec ses discours enflammés, il engrange des partisans et pose les bases de l’UNIA dans le quartier noir d’Harlem à New York.
Le projet d’une Afrique forte et renouant avec sa place de civilisatrice de l’humanité, parvient à fédérer. Les adhésions affluent de partout. En 1921, l’UNIA compte le chiffre astronomique de 6 millions de membres et aurait eu 1100 sections dans 40 pays. Son journal The Negro’s World est distribué partout aux Amériques en plusieurs langues.
Garvey dit dans les premiers éditoriaux du Negro’s World : « L’Afrique doit être libérée, et nous devons tous vouer notre vie, notre énergie et notre sang à cette cause sacrée ».
Il crée la compagnie maritime Black Star Line qui récolte la somme faramineuse de 10 millions de dollars de la part de petits investisseurs noirs, même les plus pauvres contribuent. Très vite, la société possède trois cargos lui servant à convoyer ses marchandises, mais aussi à servir le projet visant à ramener les Noirs en Afrique. Partout où ses navires mouillent l’encre, des foules de Noirs viennent l’acclamer. Les bateaux de Garvey transportent 4000 tonnes de matériel de construction et des experts qui posent les bases de chantiers au Liberia. L’objectif étant de bâtir une ville qui défiera les mégalopoles occidentales.
Garvey fonde en 1919 la Negro Factories Corporation qui permet la création de chaînes de magasins d’alimentation, de restaurants, de teinturerie, d’ateliers de confection, de magasins de mode, de fabriques de chapeaux, de fabriques de poupées noires, de blanchisseries, d’hôtels, de maisons d’éditions… Entre 1920 et 1924, l’UNIA et ses filiales économiques, ses écoles, toutes gérées par des Noirs, auraient employé quelques milliers de personnes.
Marcus Garvey pose les fondements d’un Etat unique africain dont il est élu Président. Il rassemble lors des conventions internationales de l’UNIA des milliers de délégués des Amériques, d’Europe et d’Afrique. Il dote la nation en projet d’un drapeau en 1920, d’une élite, d’un embryon d’armée terrestre, d’armée de l’air. Les infirmières dites de la Croix Noire Africaine défilent devant lui. Il adopte la « déclaration des droits des peuples noirs dans le Monde ».
Le déclin
La guerre avec W.E.B. DuBois
L’activiste africain-américain W.E.B DuBois est un acteur de la première heure du panafricanisme. Si DuBois et Garvey veulent tous deux l’émancipation de tous les Africains du monde, tout les oppose sur la forme. DuBois – qui s’était violemment opposé à la politique de soumission de Booker T Washington – était jusqu’à l’avènement de Garvey le plus grand leader panafricaniste.
DuBois est un universitaire bourgeois et clair de peau qui prône l’intégration des Noirs en Occident et les négociations avec les colons pour libérer l’Afrique. Garvey est un autodidacte, un homme du peuple, foncé, qui veut une séparation franche avec les Blancs et n’exclut pas le conflit ouvert. Garvey est complètement estomaqué par le nombre de Blancs qui travaillent avec DuBois au sein du lobby noir NAACP.
L’affrontement entre Garvey et DuBois est nucléaire. Chacun traite l’autre de plus grand danger au monde pour la race noire. DuBois fustige le soutien du Ku Klux Klan à Marcus Garvey. L’organisation raciste voit en le leader noir celui qui rendra l’Amérique totalement blanche. Garvey loue le KKK pour sa franchise dans sa haine des Noirs, attitude qui contraste avec l’hypocrisie des Blancs en général. Les membres du KKK vont jusqu’à investir dans la Black Star Line.
La prison
La compagnie maritime fait face à des problèmes de gestion et au sabotage des autorités américaines. Elle commence à chuter. L’UNIA qui grossit trop vite n’arrive pas à répondre aux attentes de ses membres. Les colons européens qui exploitent l’Afrique font de Garvey l’ennemi numéro 1. C’est ainsi que les autorités montent un dossier de corruption concernant la Black Star Line.
Garvey est condamné à 5 ans de prison pour des faits qu’il n’a pas commis, mais n’en fait que 3 grâce à la mobilisation internationale – Barack Obama en 2011 refusera de le gracier à titre posthume – A sa sortie, malgré l’UNIA qui est affaibli, Marcus Garvey n’a rien perdu de sa fougue et reprend le combat à Atlanta notamment. W.E.B. DuBois, qui plus tard fera tant pour les indépendances africaines, milite dans le mouvement Garvey must go qui vise à expulser le leader jamaïcain des USA. Marcus Garvey est rapatrié à la Jamaïque en Décembre 1927.
Les dernières années
Infatigable, Marcus Garvey reprend le combat politique à la Jamaïque et fonde le PPP, considéré comme le premier parti moderne de l’île, sous la bannière duquel il est élu député. Inlassablement saboté, il continue à y présider l’UNIA. Il va vivre de nouveau à Londres où il soutient l’Ethiopie sous occupation italienne, les travailleurs antillais et finance clandestinement l’organisation estudiantine d’Afrique de l’ouest WASU. Il crée une école de philosophie africaine pour développer la pensée panafricaniste et préside le congrès de l’UNIA à Toronto au Canada en 1937. Le géant s’éteint en 1940 suite à un AVC. Il meurt à 53 ans, sans jamais avoir vu son Afrique chérie.
L’héritage monumental de Marcus Garvey
Chaque Africain du monde porte en lui l’héritage de Marcus Garvey. Les héritiers les plus visibles de sa pensée sont Kwame Nkrumah et Malcolm X. Ce sont les écrits de Garvey qui ont éveillé le nationalisme de Nkrumah, alors étudiant aux États-Unis. C’est sa vision d’une Afrique unie qui est à la base de la lutte de Nkrumah pour fonder les Etats Unis d’Afrique dont l’ambition a accouché de l’Union Africaine aujourd’hui. C’est cette vision qui a en bonne partie fait de Nkrumah la plus grande figure des indépendances africaines.
Earl et Louise Little, parents de Malcolm X travaillaient et militaient pour Marcus Garvey. Malcolm X lui rendra hommage, en particulier pour son impact dans les indépendances aux Caraïbes. C’est Amy Ashwood Garvey, première épouse de Marcus, qui co-organisa avec W.E.B. DuBois la conférence de Manchester en 1945, qui lança la lutte effective pour les indépendances africaines.
A cette conférence, participèrent entre autres Jomo Kenyatta, premier président du Kenya ou Nnamdi Azikiwe, premier président du Nigéria qui se réclamait comme héritier du Garveyisme. Garvey a inspiré les indépendantistes zimbabwéens ; les défenseurs de la cause noire en Afrique du Sud, le grand Julius Nyerere, premier président de la Tanzanie ; ou encore Kamuzu Banda, premier président du Malawi.
En raison de sa pensée et de ses réalisations, Marcus Garvey est, et cela pour l’éternité, un des plus grands Africains de l’histoire.
« Si je meurs à Atlanta mon travail ne fera que commencer, mais je vivrai, physiquement ou spirituellement pour voir le jour de gloire de l’Afrique. Quand je serais mort, enveloppez moi de la cape rouge, noire et verte, car dans une nouvelle vie je me relèverai avec la grâce de Dieu et ses bénédictions pour mener des millions jusqu’aux sommets du triomphe que vous connaissez bien.
Cherchez moi dans l’ouragan ou dans la tempête, cherchez moi tout autour de vous, car avec la grâce de Dieu, je reviendrai et amènerai avec moi les innombrables millions d’hommes et de femmes noirs qui sont morts en Amérique, ceux qui sont morts dans les Antilles et ceux qui sont morts en Afrique pour vous aider dans le combat pour la Liberté et la Vie. »
La voix électrisante de Marcus Garvey :
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Africamaat
- Great Black leaders, édité par Ivan Van Sertima (Chapitre de James G Spady)
- Atlanta Black Star
- Lascony Nysymb