Nous partageons cet article de l’Université de Yaoundé au Cameroun. Si des termes comme fétiches sont inappropriés, cela n’enlève absolument rien à sa très grande qualité.
Il y a 100 ans, la santé de la mère et du nouveau né était déjà l’objet d’une attention particulière de la part des populations pahouines (Fang) d’Afrique Centrale. Elles étaient en effet parfaitement conscientes de l’importance d’une abondante progéniture comme symbole de richesses et de pouvoir, mais aussi des risques liés à la grossesse et à l’accouchement, dus en grande partie dans leur imaginaire aux mauvais sorts et aux fétiches.
À cette époque, ces seigneurs de la forêt n’avaient ni sulfate de magnésie, ni Bétadine, ni ciseaux stériles, ni compresses, ni serviettes, ni gants. Que faisaient-ils pour s’assurer que la grossesse et l’accouchement se passeraient dans les meilleures conditions possibles ? À partir de différentes sources incluant la tradition orale et les écrits des premiers missionnaires américains qui ont exploré le Sud Cameroun au début du siècle passé, nous évoquons dans cet article quelques stratégies utilisées par les populations boulou afin de garantir une bonne santé pour l’enfant et sa mère.
L’hygiène et le suivi de la grossesse
Dans la tradition pahouine, la grossesse était considérée comme un don divin et il fallait prendre toutes sortes de mesures pour qu’elle évolue dans de bonnes conditions. Par-dessus tout, il fallait par un suivi rigoureux, s’assurer que l’enfant naitrait vigoureux, sans malformation et qu’il deviendrait un adulte productif.
Le suivi de la grossesse était effectué par la belle-mère (mère du mari), mais de préférence par la mère de la femme enceinte. Toutefois, l’hygiène de la grossesse s’adressait aussi bien au père qu’à la mère. Voici quelques conseils qui étaient prodigués à la mère lors des conversations qui tenaient lieu de visite prénatale. Pour éviter un mauvais sort, la grossesse devait être tenue secrète le plus longtemps possible. Dès la grossesse connue, la future maman ne devait pas permettre que n’importe qui soit assis derrière elle ou passe par-dessus ses jambes, de peur que l’enfant ne prenne des traits de caractère de cette personne. Quel drame s’il s’agissait d’un filou, d’un taré ou d’un couard !
Il fallait aussi éviter de voir un mort, ou de traverser un cimetière. Car cela exposait à une mort intra-utérine ou néonatale.
La femme enceinte devait surtout faire attention à son hygiène alimentaire. Ainsi, elle devait éviter entre autres de consommer :
- La viande de biche (animal connu pour ses convulsions), car l’enfant risquait de faire des crises d’épilepsie durant sa vie.
- La viande d’un reptile appelé varan ; en effet, l’enfant risquait de naitre avec un bec de lièvre ou une autre malformation buccale. La viande de serpent était également prohibée, car elle exposait le futur bébé à des dysfonctionnements moteurs ou des retards à la marche. Si cela arrivait, l’on utilisait alors en plus d’autres médications des troncs de bananier pour masser et lever l’enfant (sic).
- La viande d’un singe tué à la chasse par une flèche ; en effet, l’enfant avait un risque élevé de mort intra utérine ou néonatale.
- Un morceau de tête d’éléphant : l’enfant avait un risque élevé de malformation faciale.
- Du corossol, car l’enfant courait le risque de souffrir de dermatoses. D’autres fruits comme l’ananas connus pour favoriser des éruptions cutanées chez l’enfant devaient aussi être évités.
- Par ailleurs, certaines parties du gibier comme le cœur, le foie, ou les entrailles devaient être évitées pour éviter de causer du tort au bébé à la naissance.
- D’autres interdits étaient appliqués en fonction des régions pour des raisons mal élucidées : œufs, certains fruits, etc.
Était par contre encouragée une nourriture abondante en protéines et en légumes. Une précaution importante pour éviter les avortements était d’éviter les travaux pénibles comme la pêche au barrage. Il fallait aussi éviter de fendre du bois. Si l’on était obligé de le faire, il fallait prendre soin d’accrocher un petit bout de ce bois à son oreille (sic). En cas de malposition fœtale, comme la présentation de siège, il y avait des formules, des massages et des herbes pour que le fœtus puisse se retourner, y compris au cours du travail.
Les douleurs lombaires associées à des céphalées et aux œdèmes des membres inférieurs conduisaient à un diagnostic de rétention hydrique appelée mendim (eau), diagnostic qui est proche de ce que nous appelons actuellement la prééclampsie. Il fallait se dépêcher de préparer une composition à base de morceaux de manioc roui associée à une écorce d’un arbre appelé ayos. Cette décoction provoquait une diurèse abondante et éradiquait le mal (sic).
Pour faciliter le travail et l’accouchement, la prise en charge démarrait au 7é mois par l’ingestion régulière d’un mélange savamment dosé de poudre de carapace de tortue et de manioc roui appelé mekombo.
Vers la fin de la grossesse, l’on pouvait faire appel à des lavements vaginaux prudents avec de la poudre de coquille d’un escargot particulier (le nom exact sera révélé plus tard). Pour éviter les retards de croissance intra-utérine, l’on utilisait les écorces d’un arbre appelé éyen. Il fallait sélectionner des écorces qui s’étaient détachées spontanément et étaient tombées fermées « en décubitus ventral »(sic). Ces écorces étaient écrasées, mélangées à du sel, à des graines appelées ndôñ et à de la poudre de feuille de foléré séché. La poudre ainsi fabriquée était consommée par la maman aux deuxième et troisième trimestre de la grossesse. Elle limitait le risque d’hypotrophie fœtale et d’anémie chez la mère. De son côté, le père avait également un certain nombre d‘interdits à respecter :
- Durant la grossesse, il devait éviter de trancher la gorge d’un animal ou même d’assister à un dépeçage.
- S’il était menuisier, il devait absolument éviter de clouer lui-même quoi que ce soit. En effet, cela risquait de provoquer une dystocie mécanique (cervicale) chez sa femme (sic). Il devait donc pour cela faire appel à un aide.
L’accouchement
L’information relative à l’entrée en travail était réservée à des personnes de confiance. Dès qu’elle était connue, des ingrédients devaient être rassemblés. Il s’agissait notamment de feuilles de bananier ou d’un arbre à feuilles larges dont la sève est douée de propriétés antiseptiques (éton), du raphia frais et propre, une herbe antiseptique appelée abomejañ, de l’eau propre et du bois de chauffage. Le travail lui-même était monitoré par la mère de la femme en travail. Pour le raccourcir, certaines matrones préparaient des lavements à base de sèves de moabi ou d’autres connus d’elles seules.
Le mari informé affutait ses instruments de cueillette et son fusil de chasse et il allait attendre, dans la case commune dite case à palabres. En effet, les hommes n’avaient pas accès à la salle d’accouchement. L’accouchement proprement dit avait lieu dans la famille du mari ou de préférence dans celle de la femme enceinte. La phase d’expulsion du bébé était dirigée par une parente expérimentée de confiance, assimilable à une matrone. Une fois le bébé à la vulve, la maman était installée par terre, sur un matelas végétal fait de feuilles de bananier séchées. Ce matelas était au préalable recouvert de feuilles fraîches de bananier préalablement ramollies à la chaleur douce.
Le bébé était extrait avec douceur et la personne en charge de l’accouchement faisait un diagnostic immédiat d’enfant vivant apparemment sain, de nouveau né en souffrance ou de mort-né. Le nouveau-né était alors aspergé d’eau froide pour l’inciter à pousser un cri suffisamment puissant pour être entendu des hommes qui attendaient dans la case à côté. Une fois que bébé avait crié et qu’il avait une respiration régulière, on le réchauffait auprès du feu de bois qui avait été apprêté entre-temps.
Immédiatement après le cri du bébé, la naissance d’un enfant sain était annoncée aux hommes par laformule : « Il s’agit d’un garçon (ou d’une fille). Le bébé est très vigoureux et il ressemble particulièrement à son père. ». L’annonce était confirmée par les pleurs du nouveau-né. Dans le cas d’un garçon, le père prenait un fusil et tirait immédiatement un coup en l’air, pour que le nouveau-né puisse devenir un guerrier farouche. La croyance était que le garçon qui n’entendait pas un coup de fusil le jour de sa naissance risquait de manquer de courage au combat. Le cordon ombilical était tranché à l’aide d’une écorce de raphia spécialement affûtée.
Puis le pansement était fait à l’aide d’une herbe antiseptique appelée abomejañ. La délivrance du placenta était particulièrement surveillée. Au cas où elle était retardée, l’on cherchait un balai de raphia et on frottait la tête de la jeune maman avec ce balai. L’effet était garanti : le placenta était expulsé aussitôt (sic).Une fois la délivrance du placenta effectuée, celui-ci était confié à une parente proche pour une tache importante qui nécessitait de la sagesse et du doigté. Il s’agissait d’identifier un buisson et d’y déposer avec précaution le placenta.
Le placenta devait s’effondrer immédiatement et tomber par terre : c’est à cette condition que la fertilité de l’accouchée était garantie. En cas d’infertilité par la suite, celle qui avait assumé cette tâche était tenue pour responsable et il lui était demandé des comptes. Le placenta et tous les produits sanguins issus de l’accouchement devaient être confiés pour mise en terre à une personne sûre, car ils pouvaient être utilisés pour nuire à la mère en « arrêtant les maternités » (infertilité secondaire).
Le puerperium et la période néonatale
Immédiatement après l’accouchement, le mari de l’accouchée (ou son frère) s’enfonçait dans labrousse pour chercher deux ingrédients : le ba’a (padouk) dont on râpait le tronc en recueillant la sève rouge et l’écorce et un arbre rouge appel ési. La sève et les écorces écrasées étaient mélangées à de l’huile de palme dans un gobelet en bois spécialement fabriqué. Cette composition servait aux soins de la peau de la mère et de l’enfant tout au long du rite de la période néonatale, appelé ñyabane jaé.
Il débutait par le raclage du bord du lit pour en faire une poudre que la maman devait inhaler sous forme de prise. L’objet de cette prise nasale était la protection contre les sorciers, mais aussi contre toutes sortes de dermatoses. Le rite du ñyabane jaé qui concerne à la fois la maman et le nouveau-né sera abordé en détail lors d’un prochain article.
Le lendemain de la naissance d’un garçon, avait lieu la cérémonie de bénédiction du nouveau-né. Celle-ci était sous la responsabilité du père ou du grand père de l’enfant. Pour que cette cérémonie ait son plein effet, elle devait être effectuée à l’aube, avant que l’officiant ait mangé ou bu quoi que ce soit. Le garçon était arraché des bras de la maman par l’officiant. Celui emportait le nouveau-né à l’extérieur de la case et après avoir mis sur sa tête quelques gouttes salive lui disait des paroles du genre : « Durant ta vie, tu vivras des moments heureux et tes ennemis n’auront aucune prise sur toi.
Dans les groupes où tu seras, tu seras toujours le leader. Quand tu solliciteras quelque chose de quelqu’un, il te le donnera. Dans ton clan, tu seras un grand homme, un seigneur. Ce que tu entreprendras sera couronné de succès, etc. » Puis le bébé était ramené à sa mère pour la tétée. Par la suite, on lui attachait autour de la taille, aux poignets et aux pieds une corde de raphia tissée. Cette corde était censée le protéger contre le paludisme et toutes sortes de convulsions. Ces bracelets ne devaient en aucune façon être retirés, mais tomber spontanément.
En cas de difficulté à la montée laiteuse ou de lait maternel inadapté (par exemple source de diarrhée pour l’enfant), des solutions étaient prévues, à base de compositions végétales qui seront détaillées par la suite.
Source : « Il y a Cent Ans dans les Profondeurs de la Forêt Équatoriale, la Grossesse et l’Accouchement … », Article de Nko’o Amvene Samuel, Ameñele Jeanne Marie Priscille, Medoua Bella Marlyse ; Publié dans Health Science and disease, the journal of Medicine and health disease, n° 14 Septembre 2013, UNIVERSITE DE YAOUNDE 1, CAMEROUN