Le texte qui suit, rend compte de la valeur immense qui était donnée à la fonction de scribe en Afrique pharaonique.
Extrait d’un papyrus égyptien ancien transcrit par Théophile Obenga dans La Philosophie Africaine de l’Epoque Pharaonique, page 207.
«Chéris les études, fuis la danse; alors tu feras un excellent fonctionnaire. Ne désire pas le fourré (pour ses plaisirs de chasse et de pêche). Tourne le dos au fait de jeter le bâton (jeu de boomerang) et de chasser. Écris beaucoup de jour avec tes doigts ; récite de nuit. Que te soient amis le rouleau (de papyrus pour écrire) et la palette (pour poser le papyrus). C’est plus agréable que le vin. Écrire en effet pour celui qui connaît, c’est bien meilleur que toutes les (autres) professions. C’est plus agréable que le pain et la bière, plus que l’habillement et l’onguent. C’est plus précieux qu’un héritage en Égypte, qu’une tombe à l’occident (Le pays des Morts).»
Commentaire du célèbre égyptologue congolais Théophile Obenga :
«Ce fragment est extrait du Papyrus Lamt’ng (P. British Museum 9994), qui est un manuel scolaire datant de la XXe dynastie, donc de la fin du Nouvel Empire (1567-1085 av. notre ère).
Dans ce manuel, le professeur, qui a le titre de «scribe royal» (if-mm), et s’appelle Neb-Maâ-Rê Nakht, s’adresse au scribe Wn-m-dâf’ Imn, Wounemdiamoun. Après le titre de l’ouvrage, commence un éloge en faveur du métier de scribe (notre texte en est un extrait). Des conseils sont donnés à l’élève hésitant. Le scribe oisif est blâmé.
Toutes les professions sont mauvaises, à l’exception de celle de scribe. Etre scribe est nettement supérieur par rapport à la condition pénible du paysan et du soldat. L’élève instruit, souhaite construire une villa à son maître, en signe de reconnaissance.
Raia {RE-i3, Râya), surnom de Nebmare-Nakht (Neb-Maâ-Rê Nakht), scribe riche et libre, construit lui-même sa villa, avec jardins, allées bordées d’arbres, canaux, etc. Un panégyrique enthousiaste, en vers, relatif au métier de professeur, termine ce manuel scolaire, destiné à susciter des vocations de scribe.
C’est à Thot, le dieu-lune à tête d’ibis, mais représenté aussi sous la forme d’un singe babouin, que les Égyptiens attribuaient l’invention des hiéroglyphes ou «paroles divines»_ Ce dieu «totémique» présidait à tous les aspects de la vie intellectuelle, en tant que protecteur des scribes et ceux-ci étaient les « compagnons » de leur protecteur, et aussi chef de tout ce qui se compte (mois, années). Thot était également le dieu des magiciens.
Imhotep, l’architecte du roi Djoser de l’Ancien Empire (2780-2280 av. notre ère), fut divinisé à Basse Époque (715-330 av. notre ère). Le célèbre Scribe accroupi’ du Louvre (Paris) représente un haut dignitaire qui aurait vécu vers 2550 av. notre ère. Nebmertoufl prêtre, archiviste et scribe royal, est représenté —— faveur insigne — aux côtés du roi Aménophis IÏI (1408-1372 av. notre ère) sur les murs du temple de Soleb (Nubie).
Les scribes, « ceux qui écrivent », prêtres ou non, tous ceux qui manient la plume, sont à la base de la société pharaonique et constituent le fondement même de l’État: ils ont forgé la pensée égyptienne et maintenu, pendant trois millénaires, les valeurs morales, intellectuelles, culturelles, spirituelles, scientifiques, etc., de la société pharaonique.
Aussi la profession de scribe est-elle placée au-dessus de toutes les autres occupations : au-dessus de la chasse et de la pêche, au-dessus de la nourriture (vin, bière, pain), au-dessus de l’habillement, du maquillage, de la parure, de l’onguent ; et surtout, au-dessus de l’héritage que l’on peut recevoir en Égypte ; plus étonnant encore, le métier de scribe vient avant le fait de se soucier de la tombe et des rites funéraires, toutes choses fort essentielles dans l’Égypte ancienne.
La vie intellectuelle représente la substance même de la société pharaonique: «heureux le cœur qui écrit , car il est toujours jeune, chaque jour». Le scribe, dit le texte, « est semblable à la femme qui accouche sans aversion, et même la fonction de scribe est encore au-dessus de cet acte qui donne la vie à un individu.»
Il existait, dans l’Égypte ancienne, des centres de formation (des écoles] pour les garçons qui se destinaient à exercer le métier de scribe : il fallait entrer avant d’avoir connu les femmes, donc avant l’âge de la puberté (Papyrus Lansing).
Autour du palais royal, de véritables écoles formaient les plus favorisés à devenir de hauts fonctionnaires : scribes royaux, magistrats, prêtres, ministres, écrivains, savants, etc. Les études littéraires étaient très développées : l’apprentissage de l’écriture {Écris beaucoup, de jour ») et de la lecture (« Récite de nuit ») était la principale occupation.
Il fallait aussi savoir compter, et les mathématiques étaient enseignées. Le dessin, la musique et la culture physique étaient pratiqués, et Platon, dans les Lois, recommande expressément le modèle de l’éducation égyptienne pour la formation de la jeunesse athénienne. Au Nouvel Empire (1567-1085 av. notre ère}, des interprètes égyptiens comprenaient l’accadien (une langue sémitique), et le grec [une langue indo-européenne) était bien connu à l’époque ptolémaïque (330-30 av. notre ère). Sans doute il existait un enseignement de langues étrangères.»
Notre commentaire : on voit bien à travers ce texte que nos ancêtres de la vallée du Nil avaient compris plus de 3000 ans avant l’ère occidentale, l’importance de l’érudition, des études et de la connaissance. Une caste de scribes, bien formée et habitée d’un amour intempéré pour les livres et la plume a permis à l’Égypte de subsister en tant que civilisation pendant plus de 3000 ans, un record!
Les scribes ont été l’âme du peuple égyptien pendant plus de 3000 ans. Ils ont consigné dans leur papyrus les chants, les poésies, les prières et tous les autres éléments qui faisaient l’âme de la société égyptienne.
Les scribes égyptiens ont aussi été les conservateurs de tout le savoir scientifique. Mais ils se sont aussi distingués, au cours de l’histoire, par leur innovation. On leur doit tout le travail scientifique qui a permis la construction, plus tard, des obélisques, de temples chaque fois plus grands et plus majestueux, de statues géantes aux précisions microscopiques, de poteries et de parures, taillées chaque fois dans de la pierre rare et dure ou simplement à partir de métaux chaque fois plus précieux.
Mais le travail scientifique a aussi, et surtout, permis au peuple égyptien de se doter d’un équipement militaire chaque fois plus performant, lui permettant d’être à la pointe de l’armement et lui garantissant de pouvoir de se préserver en tant que peuple et aussi en tant que civilisation, pendant plus de 3000 ans.
Aujourd’hui, certes, nous ne sommes plus à l’ère des papyrus, du roseau et de l’encre. Nous sommes à l’ère des claviers d’ordinateur. Mais pourtant nous avons les mêmes besoins que nos ancêtres de la vallée du Nil. Plus de 5000 ans après eux, nous avons besoin de développer une caste de scribes. Nous avons besoins de scribes qui seraient les gardiens de notre mémoire. Des scribes, fous amoureux de lecture, qui se feront expert de toute notre histoire, vieille de 300 000 ans, jusque dans ses moindres détails et qui la conserveront dans les livres.
Nous avons besoin de scribes, de femmes et d’hommes pour conserver et perpétuer et la mémoire vivante de notre peuple. Les chansons populaires, les proverbes, les légendes et les cosmogonies qui ont façonné notre pensée devront être consignés par écrit, dans leurs langues d’origines.
Tout comme les anciens qui l’ont précédé le scribe devra être expert de la grammaire de nos langues.
Nous avons besoins de scribes scientifiques, qui aiment notre peuple et déterminés à le protéger par tous les moyens. Ces scribes-là feront de la recherche; comme les grecs avant eux, ils iront en voyage, loin de leur contrée; aux États-Unis, en France, en Russie, en Chine, au Brésil. Ils iront apprendre l’aéronautique et la chimie. Ensuite ils reviendront fabriquer en Afrique des chasseurs F16 et les équiperont des missiles nucléaires, qu’ils auront fabriqué eux-mêmes, afin d’assurer notre sécurité et notre souveraineté à tous.
Nous avons besoins de scribes experts en géopolitique et en stratégie militaire. Leurs conseils avisés sur les questions internationales et en cas d’expédition militaire nous assureront à chaque fois une issue heureuse.
Nous avons aussi besoin de scribes dont la spécialité sera les sciences exactes; c’est-à-dire les mathématiques, la chimie physiques et autres. Ils auront pour principale tâche de repousser les limites de la connaissance; assurant ainsi la naissance et la pérennité de notre nouvelle civilisation, et le prestige de notre peuple.
Comme ils l’ont été pour nos ancêtres il y a 2000 ans les scribes continueront d’être notre substance. Notre survie et la mémoire de notre peuple reposeront entièrement sur leurs épaules.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)