« La plupart des études et les manuels scolaires concernant la traite des Noirs, se sont focalisés sur les 18e et 19e siècles, c’est-à-dire une époque où la traite des Noirs était devenue la principale activité de l’Afrique noire (…) Cette approche historique a toujours fait l’économie d’une analyse des moyens, militaires et autres, déployés par les négriers européens aux 16e et 17e siècles afin d’abattre les rois africains et les élites qui résistaient, et mettre à leur place des chefs dociles et corrompus.
Ainsi, cette image d’une Afrique qui vendait, elle-même, ses propres enfants, a toujours reposé sur la méconnaissance des moyens particulièrement brutaux mis en place par les Européens pour démolir des empires qui étaient prospères, exterminer toute résistance aux envahisseurs » Rosa Amelia Plumelle-Uribe, « Traite des Noirs, Traite des Blancs », pages 138-139.
Après 4000 ans de période pharaonique et 1500 ans de haute époque impériale, l’arrivée des Portugais en Afrique a marqué le début de la fin de l’histoire glorieuse des Noirs. De toutes les nations européennes qui ont mis en esclavage les Africains, c’est eux qui ont commis le plus de dégâts initialement. Envoyés par le Vatican, ils s’attelèrent à raser les civilisations africaines pendant deux siècles.
C’est de cette période qui constitue LE tournant de notre histoire et dont nous vivons les graves conséquences jusqu’à nos jours, dont il est question ici. Les Africains d’alors et leurs rois résistèrent héroïquement.
“Nous avons jadis, par de précédentes lettres, concédé au Roi Alphonse, entre autres choses, la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les Sarrasins (Noirs), païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle (…) de s’attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins (Noirs) et païens » [1].
C’est par ces mots que le pape Nicolas V confirma, le 8 Janvier 1454, l’autorisation donnée au Portugal de débuter la traite négrière européenne et la destruction de l’Afrique. Son successeur le Pape Calixthe III, précisa en 1456 « Toute la Guinée et au-delà, jusqu’aux Indes » [1]. C’était donc dans le cadre d’une prétendue mission évangélisatrice que les Portugais entrèrent dans une Afrique richissime et civilisée, avec leurs missionnaires. Les Européens ont ainsi laissé des descriptions des civilisations qu’ils s’apprêtaient à détruire.
A propos de l’empire Kongo (Angola-RD Congo-Congo-Gabon) et de la Côte Est africaine qui au 11e siècle faisait du commerce avec l’Australie, l’historien allemand Leo Frobenius dit “Dans le royaume du Congo, une foule grouillante, habillée de soie et de velours, de grands Etats bien ordonnés, et cela dans les moindres détails, des souverains puissants, des industries opulentes. Civilisés jusqu’à la moëlle des os ! Et toute semblable était la condition des pays à la côte orientale, la Mozambique par exemple” [2]. Un dicton d’Afrique de l’est disait « On accédait à des lits en ivoire par des escaliers en argent ».
De l’empire du Mwene Mutapa (Zimbabwe-Mozambique-Botswana-Afrique du Sud-Zambie), qui faisait du commerce avec la Chine au 11e siècle “Le palais est grand, magnifique, flanqué de tours en dehors avec quatre grandes principales portes ; le dedans enrichi de tapisseries de coton, rehaussé d’or et de meubles riches et superbes…
On y entre par quatre grands portaux où les gardes de l’empereur font tour à tour la sentinelle. Les dehors sont fortifiés de tours et le dedans divisé en plusieurs chambres spacieuses garnies de tapisseries de coton où la vivacité des couleurs dispute le prix à l’éclat de l’or (…) des chaires dorées, peintes et émaillées et des chandeliers d’ivoire suspendus à des chaînes d’argent sont une des beautés de ces appartement somptueux. Sa vaisselle est de porcelaine entourée de rameaux d’or » [3].
Ils disaient aussi “Au Monomotapa, les rois (…) portent une longue robe d’un drap de soie tissu dans le pays; ils portent au côté une serpe emmanchée d’ivoire (…) les gens du commun s’habillent de toile de coton et les grands, d’indiennes brodées d’or » [4]
A propos du Mozambique, qui était une partie du Mwene Mutapa “Deux seniors vinrent nous voir. Forts hautains, ils n’apprécièrent rien de ce que nous leur donnâmes. L’un d’eux portait un manteau à frange de soie brodée, et celui de l’autre était tout entier en soie verte. Nous comprimes à leurs signes qu’un jeune homme qui était avec eux venait de loin et avait déjà vu de grands bateaux semblables aux nôtres ». [5].
Le voyageur arabe Ibn Battouta disait au 14e siècle de la ville de Kilwa en Tanzanie, dans la civilisation noire des Swahili, qu’elle est la plus belle ville du monde. Voilà donc ce que les Européens ont trouvé en arrivant en Afrique.
En 1482, les portugais entrent dans l’empire Kongo, qui à cette époque était sous le règne de Nzinga a Nkuwu. Le roi, à travers la légendaire hospitalité africaine, ne se méfiera pas suffisamment d’eux. Grâce aux armes à feu dont ne disposaient pas les Africains, les Portugais, alors au fait de leur puissance après avoir été recivilisés par les Noirs du Maghreb et les Arabes, changèrent brutalement le cours de l’histoire africaine.
La destruction de Kongo dia Ntotila (l’empire Kongo)
A la mort de Nzinga a Nkuwu, son fils Mpanzu a Kitima, hostile aux Européens et rejetant le christianisme, fut sacré Mwene Kongo (empereur du Kongo). Les Portugais montèrent alors une insurrection pour installer son frère Nzinga Mbemba, converti sous le nom d’Afonso 1er. Le roi Mpanzu fut tué sur le champ de bataille en affrontant cette coalition. Afonso devint Mwene Kongo.
Complètement subjugué par le christianisme, Afonso envoya de jeunes citoyens – boursiers du gouvernement, dont ses enfants – étudier en Europe. Son fils Henrique sera ordonné évêque.
Les portugais étendaient progressivement leur controle sur l’empire, au point de régner avec le roi. Ils avaient pour stratégie de mettre Kongo dia Ntotila en infériorité technologique et dans une relation de vassalité vis à vis du Portugal. Ils refusèrent de vendre des navires au Mwene pour satisfaire son désir de développer le commerce international. Ils prirent également le controle de ses relations internationales.
Leur forte présence permit le début des razzias négrières. Afonso refusa que soit organisé l’esclavage dans son pays. Le roi protesta vigoureusement du fait que certains de ses sujets, cupides, collaboraient avec les négriers, parmi lesquels on comptait des missionnaires portugais. Certains Kongo collaboraient en échange de symboles religieux. Afonso ne comprenait pas comment des chrétiens qu’il voyait comme des Etres parfaits pouvaient se livrer aux razzias.
Lettre après lettre adressée à celui qu’il considérait comme son frère, le roi Joao III du Portugal, il protesta, choqué, et insista pour que les biens de consommation portugais soient retirés; ne recevant que des réponses désintéressées de Joao. Face à ce roi finalement pas si soumis, les Portugais fomentèrent complots et attentats contre les membres du gouvernement et détruisirent l’appareil politique de l’empire.
De hauts dignitaires et des membres de la famille impériale furent kidnappés et déportés. Afonso Ier lui-même échappa à une tentative d’assassinat, orchestrée par 8 portugais, en pleine messe de Pâques en 1540 ; une balle ayant traversé sa tunique royale. A la fin de son règne en 1543, Nzinga Mbemba Afonso Ier avait divorcé du Portugal. L’empereur mourut à 87 ans, comme le disait Joseph Ki-Zerbo, sans jamais avoir compris ce qui se passait.
Le Kongo, terrassé par la traite négrière, se vidait à une vitesse exponentielle et entra véritablement en guerre contre le Portugal. Après plus d’un siècle de résistance, l’armée royale fut définitivement vaincue en 1665. La grande capitale Mbanza Kongo et ses grands marchés colorés d’alors, n’était plus qu’un repère pour animaux où on croisait des gens pauvres et nus.
La destruction des royaumes Swahili et des royaumes Somali
Louise Marie Diop-Maes dit « Après avoir pillé des navires aux abords de Zanzibar en 1503, les Portugais attaquent Kilwa en 1505 et commencent à construire un fort. La même année, ils menacent Mombasa qui résiste. Aidés par des alliés africains, les habitants se battent contre les portugais dans les ruelles de la ville, jusqu’au palais du roi.
Ayant pris d’assaut le palais, les portugais forcent le roi à se rendre. La ville fut mise à sac et incendiée. Plus au nord, Barawa subit le même sort. En 1528, Mombasa était de nouveau attaquée. Après 4 mois d’occupation, les portugais rasèrent la ville. En 1569, Mombasa s’était repeuplée.
Quant à Kilwa, elle était « presque déserte mais faisait encore du commerce d’ivoire avec les Comores et l’intérieur »… A l’exception de Malindi, toutes les villes entre Mogadiscio (Somalie) et Kilwa (Tanzanie) avaient reçu favorablement un navire turc et le message du commandant turc Mir’Ali Bey, les portugais répondirent par une expédition punitive, particulièrement à Faza, près de Paté, et à Mombasa dont les habitants résistèrent et infligèrent de lourdes pertes aux portugais avant d’être écrasés. La ville fut à nouveau rasée et la tête du roi emmenée et exhibée à Goa (Inde).
En 1588, les turcs reviennent avec 5 navires et les portugais répondent en 1589 par l’envoi d’une flotte plus forte qui détruisit les navires turcs. Dans le même temps, les Zimba, venus de l’intérieur, exercent leur ravage. Les portugais font voile vers le nord et se venge sur Lamu qui avait soutenu les turcs. L’île voisine de Manda fut attaquée et sa capitale Takwa, mise à sac.
Malindi s’empara de Mombasa avec l’aide des Sejegu et les Portugais imposèrent à Mombasa le prince de Malindi ; le capitaine portugais et sa garnison furent également transférés de Malindi à Mombasa. Malindi déclina. Kilifi (entre Mombasa et Malindi) attaqua cette dernière. Malindi l’emporta sur Kilifi qui déclina à son tour… A l’exception de Paté, le déclin fut général. » [6]
La destruction de l’empire du Mwene Mutapa (Zimbabwe)
En 1505, les Portugais construisent un fort à Solafa (Mozambique). Comme au Kongo, la stratégie fut d’entrer dans l’empire par la voie de la religion. Les premiers missionnaires parviennent sur les rives du Zambèze vers 1560. Après s’être brièvement converti au christianisme, l’empereur – qui avait manifestement compris ce qui se jouait – fit tuer le missionnaire Gonzalo da Silveira. Les Portugais attaquèrent l’arrière-pays.
Entre 1569 et 1573, les Africains infligèrent aux Européens 800 morts sur 1000 soldats, puis 200 sur 400 en 1574. En 1629, l’empereur Mamvuru Mutapa fut défait mais l’empire continua à résister. Les portugais prirent avantage des querelles de pouvoir pour favoriser Mavhura. Celui-ci accepta de mettre son territoire sous tutelle des Portugais en échange de l’aide de ces derniers pour la conquête du trône. Les Portugais mirent les Africains en esclavage sur les terres conquises. La guerre et les rébellions se généralisèrent, les migrations s’intensifièrent. L’empire se désagrégea et devint un sanglant champ de bataille.
Le Mutapa Mukombwe réussit à créer une coalition, l’emportant sur les Portugais en 1680 et en 1690. Mais les dégâts infligés à Zimbabwe étaient irréparables. Le légendaire empire d’Afrique australe s’effondra.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama (article ouvert à la copie et la reproduction, sous condition de mettre « source : lisapoyakama.org » en fin d’article. L’autorisation ne concerne que cet article)
Notes :
- [1] La traite négrière européenne : vérité et mensonge; Jean Philippe Omotunde – page 57.
- [2] Nations Nègres et Culture; Cheikh Anta Diop – page 343.
- [3] La traite négrière européenne : vérité et mensonge; Jean Philippe Omotunde – pages 75 & 76.
- [4] Idem, page 74
- [5] L’Afrique doit s’unir, Kwame Nkrumah – pages 20 & 21.
- [6] Afrique noire, sol, démographie et histoire; Louise Marie Diop-Maes – pages 206 & 207.
- Théorie de la révolution africaine, tome 1; Jean Pierre Kaya.
- Government of Zimbabwe
- West Chester University