Il y a 3 siècles, en RD Congo actuelle, naissait le royaume Mangbetu. Il allait se démarquer par son mode de vie et ses réalisations artistiques.
Aux origines
Descendants de leur Ancêtre tutélaire Oyoua Erou, les Mangbetu sont originaires du Soudan. Leur langue, le kiNgbetu, est ainsi une langue soudanienne, apparentée aux langues sahéliennes. Du Soudan, les Mangbetu ont donc migré pour s’installer d’abord près du Grand Lac Mwitanzige (Lac Albert). Conduits par Makanzi, ils se sont déplacer ensuite vers les fleuves Uele et Ituri, en zone Pygmée Mbuti et Bantou.
Bénis par l’abondance de leurs nouvelles terres, ils exploitaient les ressources naturelles de la savane et de la forêt, et vivaient de la pêche, la chasse, la cueillette, l’agriculture, tout en s’enrichissant techniquement de leurs contacts avec les peuples voisins.
Au 18e siècle, le roi Nabiambeli forme des troupes de soldats équipées d’armes de fer et de bronze. Cette supériorité militaire lui permet de mener la conquête d’Etats et chefferies voisins, notamment au nord du fleuve Bomokandi. Il constitue ainsi, par la guerre, ce qui sera le royaume Mangbetu proprement dit.
L’organisation
La transmission du pouvoir et des biens se faisait, en Afrique de manière dominante, de mère en fille à travers leurs fils respectifs. Cette transmission est dite matrilinéaire. Chez les Mangbetu cette transmission était patrilinéaire et se faisait directement de père en fils. Pour autant, le fils de la sœur comme dans le système matrilinéaire, était valorisé et pouvait quelques fois succéder à son oncle.
Qui plus est, alors que la forme de l’Etat presque partout en Afrique était fédérale, avec une forte autonomie des royaumes et peuples vassaux, chez les Mangbetu l’Etat était centralisé. Nabiambeli épousa ainsi les filles des rois qu’il avait soumis. Les fils de ces unions, élevés à la cour Mangbetu, devaient à l’âge adulte aller régner sur les royaumes d’origine de leurs mères, et y faire appliquer les ordres des Mangbetu.
A partir de Nabiambeli, tous les rois Mangbetu procèderont de la sorte. Le roi Munza avait ainsi 80 épouses. Chacune disposait d’une demeure et d’une cour.
Quand le roi mourrait, le conseil chargé de choisir le nouveau monarque sélectionnait le prétendant qui avait le plus de Nataate – c’est-à-dire un bon cœur et un bon rapport aux autres personnes – et de Nakira – c’est-à-dire du charisme, de l’intelligence et de la capacité à gouverner.
Le nouveau roi appartenait à la société secrète Nebeli, chargée de protéger le peuple. Sa puissance réhaussée par la force vitale du léopard à travers la peau et les dents du félin, le souverain supervisait le culte à Kilima (Dieu) et aux Ancêtres.
Les femmes Mangbetu étaient libres. Jouissant d’une grande considération, elles avaient leur mot à dire sur les décisions politiques. Et bien qu’elles se chargeaient de la plupart des tâches ménagères, leurs maris reconnaissaient leur autorité au sein du foyer. Sous le roi Tibiko, c’est sa fille qui était Générale de l’armée. On voit ici encore une variante du matriarcat, qui prédominait en Afrique ancienne.
L’activité agro-pastorale était florissante, grâce à l’exceptionnelle fertilité des terres. Le pays Mangbetu était couvert de vastes champs de maïs, de manioc, de bananiers, de palmiers à huile.
L’esthétisme et les arts
Si les Mangbetu sont connus dans une bonne partie du monde encore aujourd’hui, c’est en raison de leurs critères de beauté très particuliers. Plus la tête était allongée, plus on était considéré comme beau et majestueux. Ainsi, jusqu’à l’âge de 4 ans, les enfants de la classe dirigeante avaient leurs cranes serrés par des bandelettes de raphia pour prendre cette forme, appelée Lipombo.
On a donc pu comprendre pourquoi les Egyptiens anciens, les enfants du pharaon Akhenaton notamment, avaient également ces cranes allongés. Les Mangbetu venant du Soudan mère de l’Egypte, c’est certainement de la Vallée du Nil qu’ils ont importé cette technique. On retrouvait aussi ces têtes allongées chez les Maya, dont la civilisation est d’origine égyptienne.
L’effet d’élongation de la tête chez les Mangbetu, était renforcé par des sourcils affinés, et continué par des coiffes ou une coiffure ouvertes vers l’arrière. Cette coiffure a certainement un lien avec l’isiCholo, la coiffe emblématique des femmes zulu d’Afrique du sud. Les Zulu, on le rappelle, viennent de la région des Grands Lacs, où ont séjourné les Mangbetu.
Très fins artistes et métallurgistes, les Mangbetu sculptaient le bois, l’ivoire, travaillaient le fer, le bronze. Le cérémonial véritablement fastueux de la cour royale et le culte vitaliste (animiste), étaient en bonne partie les raisons de cette œuvre prolifique et abondante.
Georg Schweinfurth, le premier européen à arriver dans le pays lors du règne de Munza, dit dans Au Cœur de l’Afrique, pages 239-240, à propos des musiciens Mangbetu “C’étaient, dans leur genre, des artistes fort habiles, tellement maîtres de leur instrument, sachant donner à leurs sons une telle étendue, une telle flexibilité, qu’après les avoir fait retentir, à l’égal des rugissements d’un lion ou des cris d’un éléphant en fureur, ils les modulaient jusqu’à les rendre comparables aux soupirs de la brise ou au doux chuchotement d’une voix amoureuse.
L’un de ces virtuoses, dont la corne d’ivoire était si lourde qu’il pouvait à peine la maintenir dans une position horizontale, exécuta sur cette énorme trompe des trémolos et des trilles avec autant de précision et de délicatesse que s’il eût joué de la flûte”.
Les constructions
Dans la capitale, se trouvaient de très larges et hautes bâtisses en bois, soutenus par de très nombreux piliers vernis. Son avancement technique par rapport à ses voisins avait fait du pays, une contrée connue et vantée par les Arabes, avec qui les Mangbetu échangeaient de l’ivoire.
Il y avait notamment dans la capitale, un grand hall de réception où Georg Schweinfurth, après avoir dormi dans un village Mangbetu à 30 minutes de marche de la concession royale, fut reçu par Munza. Il y fut conduit par la police locale, qui dégageait les curieux à coups de bâtons.
Les Mangbetu à l’époque coloniale
Suite à Schweinfurth qui a fait connaitre les Mangbetu aux Européens, beaucoup vont s’intéresser à cette culture et ses particularités. Les Mangbetu vont poser fièrement pour les nombreux photographes et aménager même leurs territoires et leurs habitudes pour les touristes.
Sous la colonisation belge, ils vont profiter de cet attrait pour semble-t-il augmenter leurs revenus, alors que l’école coloniale chrétienne détournait peu à peu les jeunes de leur héritage. Le Lipombo sera interdit par les Belges dans les années 50. L’occidentalisation a profondément imprégné la région. La culture si singulière des Mangbetu a ainsi beaucoup perdu de son éclat.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Au Coeur de l’Afrique, Georg Schweinfurth
- Encyclopedia.com
- Histoire de l’Afrique noire, Joseph Ki Zerbo