Nous allons rentrer dans le passé pour découvrir comment nos ancêtres avaient théorisé le rôle et la fonction du chef de l’Etat. Il reviendra aux Africains de repenser les Etats noirs défectueux, à travers ces legs ancestraux.
Pour comprendre ce que nous dirons ici, la lectrice et le lecteur pourront se documenter sur la Religion Africaine, sur la notion des 4 éléments primordiaux de la Création, sur la tradition matriarcale africaine, et sur les circonstances survenant lors de la mort du roi.
Osiris réincarné
Pour nos ancêtres, au commencement était l’eau primordiale et désordonnée du Noun. Le Noun contenait tous les germes de vie à l’état chaotique. Un de ces germes pris connaissance de lui-même. Nos ancêtres ont appelé cet Esprit premier Imana/Amen (Dieu).
Imana analysa l’état désordonné du Noun. Il-Elle décida en faisant jaillir l’Energie (Râ) de Lui-Même–Elle-Même, de mettre le Noun en ordre, pour créer le monde. Cette action d’Imana fut la première victoire de l’ordre sur le désordre, du bien (Maât) sur le mal (Isfet).
L’Energie d’Imana aboutit à la création de deux types d’éléments : la matière et l’antimatière. C’est la matière fertile – symbolisée par le couple Osiris-Isis – qui allait produire toute vie. L’antimatière stérile – symbolisée par le couple Seth-Nephtys – allait s’opposer à l’émergence de la vie. Il y eut donc une lutte féroce entre Ousiré (Osiris) et Souté (Seth).
Ousiré fut initialement tué par Souté. Mais grâce au cœur sain et aux efforts de sa femme Aïssata (Isis), qui implora le Créateur, Imana accorda à Ousiré la réincarnation. Cette réincarnation fut dans les faits l’immaculée conception d’Aïssata, qui enfanta l’Osiris réincarné, c’est-à-dire son fils Horo (Horus). Une fois adulte, Horo repris la lutte et vainquit Souté. La victoire de la matière fertile sur l’antimatière stérile, marque la deuxième victoire du bien (Maât) sur le mal (Isfet).
Après la création matérielle des 4 éléments primordiaux (eau, air, ciel, terre), la végétation, symbolisée sur le plan terrestre par Ousiré, dût apparaître. Elle s’opposa et triompha de la sécheresse. Cette victoire de la vie à travers l’avènement de la végétation, marque la troisième victoire du bien (Maât) sur le mal (Isfet).
Enfin, quand le temps de l’Humanité vint en Afrique dans la région sainte des Grands Lacs il y a 300 000 ans, les Humains avaient en leurs cœurs le bien et le mal. Le choix des Anou (les premiers Humains) de suivre les enseignements d’Ousiré en faisant le bien, marque la quatrième victoire du bien (Maât) sur le mal (Isfet).
Il ressort donc de tout ceci qu’Imana-Râ (Dieu), tout comme son fils Ousiré décédé, tout comme la réincarnation de celui-ci (Horus), ont combattu Isfet et fait triompher Maât, pour permettre l’émergence de la vie (Ankh). L’émergence de la vie a été le résultat d’un combat contre les forces du mal.
Le roi en Afrique est donc la continuité d’Imana-Râ et d’Osiris. Il est Osiris réincarné, c’est-à-dire Horus. Sa mission est sur le plan terrestre de faire la Maât (vérité, justice, équité, harmonie, ordre), vaincre Isfet (mensonge, injustice, inégalités, conflit, désordre), pour que la vie (Ankh) continue. Il doit continuer le combat pour perpétuer la vie. Voilà ce que représente le chef de l’Etat. Il est l’Horus et grâce à lui, la végétation va continuer à être foisonnante, les animaux vont continuer à être nombreux, la nourriture sera toujours abondante et les femmes vont continuer à enfanter.
L’intronisation
Horus étant apparu grâce à l’action de sa mère Aïssata, alors c’est à la femme – qui plus est Être supérieur car elle donne la vie – qu’appartient le trône. La mère du roi est l’incarnation d’Aïssata (Isis) sur le plan terrestre. L’Isis est, à l’exemple de la Namwari au Zimbabwe, l’Asantehemaa chez les Ashanti et la Magira au Kanem-Bornou (Lac Tchad), le plus haut personnage honorifique de l’Etat.
De manière absolument dominante en Afrique, le roi est choisi d’après sa filiation maternelle. Le roi est le fils – l’époux chez les baSwahili – de la femme la plus puissante de la famille royale. Il doit avoir, afin de mener à bien la lutte contre Isfet (le mal), le plus d’Energie divine.
Ce faisant, le conseil chargé d’élire le roi choisi souvent le plus fort des prétendants au trône. Le prétendant peut augmenter sa force à l’aide de gri-gri. Cette force est déterminée par une course chez les Bamoun du Cameroun. Chez les baKongo, c’est celui qui s’assoit le plus vite sur une chaise qui l’emporte.
Le roi arrive à la cérémonie d’intronisation dans les plus simples vêtements, juste un pantalon chez les Mossi du Burkina Faso. Il doit comprendre, une fois portant ses luxueux habits dont on le vêtit, que c’est le peuple et les anciens qui l’ont fait et qui peuvent le défaire. Les prêtres et prêtresses de Maât lui font jurer au nom des ancêtres, y compris l’Ancêtre premier (Dieu), de respecter la mission qui est la sienne, mission qu’il a apprise lors de son initiation.
Le règne
Dès sa prise de fonction, la filiation divine du roi est affirmée. On se jette par terre quand on approche le Pharaon ou le Moro Naba des Mossi. Le Mani Kongo est ainsi vu comme l’incarnation de Dieu sur terre et appelé par conséquent avec le nom du Créateur, Nzambi a Mpungu.
Le roi dans sa fonction essaie alors dans ses protocoles et ses apparitions d’incarner le plus possible le Créateur. Ainsi puisqu’on ne voit pas le Créateur se nourrir par exemple ou poser certains actes, il est impossible de voir le roi africain se nourrir ou poser certains actes.
Le Créateur étant d’après la tradition un Etre caché, Il-Elle ne s’exprime pas directement, mais donne ses messages destinés à ses créatures, à travers des oracles initiés. Le roi incarnation de Dieu, procède aussi ainsi.
Le souverain est souvent caché derrière un rideau comme le Pharaon, le Maï du Kanem-Bornou autour du Lac Tchad, ou le Mansa du Mali ; et un serviteur initié à qui il transmet ses ordres à très bas volume, est sa voix et transmet ses messages comme des oracles lors des moments officiels.
Le Pharaon, le Mansa du Mali, l’Oba de Bénin au Nigéria, le roi Somali ou le Mwene Mutapa du Zimbabwe, ont pour totem l’oiseau, associé à Horus. Cet oiseau lui permet d’avoir une vue d’ensemble et de scruter l’application de la Maât.
La Maât avait tellement pénétré la plupart des sociétés africaines anciennes, que le célèbre voyageur arabe Ibn Battuta, qui visita l’Afrique, l’Asie et l’Europe au 14e siècle dit “Parmi les belles qualités de cette population (les Noirs d’Afrique), nous citerons les suivantes : le tout petit nombre d’actes d’injustice que l’on y observe ; car les nègres sont tous de tous les peuples celui qui l’abhorre le plus. Leur sultan ne pardonne point à quiconque se rend coupable d’injustice. La sûreté complète et générale dont on jouit dans tout le pays » (La traite négrière européenne : vérité et mensonges, Jean Philippe Omotunde, page 196).
La durée du règne
Généralement, si la durée du règne est illimitée, on estime qu’après 8 à 10 années la force du roi est affaiblie. Cet affaiblissement de l’Horus, si rien n’est fait, signifiera la victoire d’Isfet (le désordre). Cette diminution de la force est tellement redoutée, que le Damel du Cayor au Sénégal ne peut pas régner en étant blessé. Alors tous les 8 à 10 ans, on organise la cérémonie de la régénération de la force du roi. Par un ensemble de rites, le roi vieillissant retrouve toute sa force, il renaît, et continue donc à régner.
Pendant toute la durée du règne, un feu est allumé et son ardeur entretenue par des femmes. Ce feu symbolise chez les Shillouk du Soudan, les baTéké du Gabon-Congo et au Zimbabwe, l’énergie divine du roi.
Les contre-pouvoirs
Si le pouvoir du Pharaon est absolu, il a néanmoins le clergé, qui en tant que gardien de la tradition, peut s’opposer à lui. C’est le conflit entre le Roi et le clergé qui fut à l’origine des bouleversements lors du règne d’Akhenaton.
Plus tard dans notre histoire, le pouvoir fut de plus en plus ouvert au peuple. La division de la société étant faite en tribus, en clans ou castes socio-professionnelles, le conseil royal est composé des membres de chaque tribu/clan/caste, y compris de la caste inférieure des dépendants.
Le roi ne peut pas démettre un de ses conseillers-ministres, qui prend sa légitimité auprès de son clan/caste. Chez les Yoruba-Fon et les Ashanti, le roi était assisté d’un conseil d’hommes et d’un conseil de femmes. Au niveau du peuple, dans chaque communauté, existe l’arbre à palabre où chacun vient donner son avis sur le fonctionnement du pays. Les rendus des débats sont remontés au conseiller du roi correspondant, qui peut ainsi influer sur le roi et donc sur la politique nationale.
Quand l’Horus a gravement violé son devoir de faire le bien, les critiques lui sont adressées seulement par les griots, qui, sous couverts de chants et de poèmes lors des cérémonies publiques, lui font savoir le mécontentement du peuple, sans lui faire perdre la face. La matriarche, plus haut personnage de l’Etat, a quant à elle, le pouvoir de démettre le roi du trône. Les gardiens de la tradition peuvent aussi ordonner au roi de se suicider.
La mort du roi
Le décès naturel du roi est considéré comme la mort d’Horus et la défaite de Maât, et par conséquent la victoire de Souté et d’Isfet. Dès lors, partout en Afrique ancienne, un sentiment d’apocalypse traverse le pays. Tout le monde pense que la vie va s’arrêter. Tout le monde pense que la sécheresse va frapper le pays, que les femmes ne vont plus enfanter.
Dans ce qui est une théâtralisation devenue inconsciente au fil de l’histoire, on laisse les détenus s’échapper, les malfrats commettre leurs forfaits, le chaos le plus total s’empare du pays. L’ordre ne revient qu’avec l’intronisation du nouvel Horus et le retour donc de Maât.
Conclusion
On peut dire ceci à propos du rôle et de la fonction du roi en Afrique :
- Il est l’Horus, initié à la pensée ancestrale. Il est donc chargé de faire le bien (Maât) comme Dieu, afin de continuer la vie.
- Sa légitimité pour régner lui vient d’une femme, très souvent sa mère.
- Son mandat est réellement ou symboliquement limité à 8 à 10 années.
- Il est assisté des représentants de toutes les couches du peuple, qui règnent avec lui, et qu’il ne peut pas démettre.
- Le clergé (prêtres et pretresses de Maât), s’assure qu’il obéit à ses devoirs et peut mettre fin à son règne.
Ci dessus en synthèse la structure de l’Etat dans les empires et royaumes vitalistes (animistes) africains. La Mère Royale est le plus haut personnage, elle est l’incarnation de Maât et Isis. Elle assure par sa nature féminine, l’harmonie et la cohésion du pays. C’est assisté du clergé qu’elle choisi parmi ses fils, neveux ou petits-fils, les candidats à la royauté.
Quand il y a plusieurs candidats, le conseil fédéral des ethnies ou clans ou castes procède à une élection. Le Roi règne avec le conseil. Chaque ethnie est organisée en Etat fédéré, conserve donc un controle politique sur son territoire, y maintient sa langue et sa culture.
Quel a été le résultat de ce système dans le passé? Et bien c’est simple : la famine était quasi-inexistante, tout le monde avait un toit, le sentiment de la grande majorité d’être écoutée par le pouvoir amenait la paix et l’harmonie, les rois étaient aimés, les guerres civiles étaient peu nombreuses, les révolutions et coup d’Etat rares.
Avant l’apocalypse de la traite européenne puis la colonisation, non seulement l’Afrique était très riche car elle contrôlait ses énormes ressources naturelles, mais la bonne gouvernance dictée par Maât et l’inclusion du peuple dans la gestion de l’Etat, assuraient le bien-être.
Sans avoir été parfaite, l’Afrique ancienne était traversée par la sécurité et le bonheur. Cela ressort bien dans les récits de l’époque. Nous avons donc tout intérêt à penser le futur à travers cet héritage politique.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)