Du 15e au 19e siècle, dans ce qui est le plus grand crime de l’histoire, la mise en esclavage des Africains par les Européens et les Arabes a été responsable de 400 à 600 millions de pertes humaines pour le continent noir. La traite européenne a eu l’impact le plus grave car non seulement elle a anéanti au canon des Empires et royaumes africains d’alors mais elle a déporté un plus grand nombre de personnes, soit 12 à 30 millions d’enfants, de femmes et d’hommes.
Nous allons vous parler des conditions de déportation innommables qu’ont vécu nos ancêtres, au cours de leurs voyages vers la destruction de leur humanité.
29 Octobre 1665. Le roi Nvita a Nkanga Antonio affronte les Portugais à Ambuila en Angola actuel. Le souverain Kongo reçoit une balle et tombe sur le champ de bataille. Il est décapité aussitôt par l’ennemi esclavagiste. Sa tête est montée sur un piquet, promenée puis enterrée. Le royaume Kongo s’effondre ainsi et 160 ans de résistance formidable des rois et reines en Afrique centrale, en Afrique australe et en Afrique de l’Est s’achève symboliquement.
C’est à partir de cette époque, suite aux actes térroristes et victorieux des esclavagistes, que l’Europe sera libre d’étendre à souhait son activité de mise en esclavage des Africains.
A la fin du 17e siècle-début du 18e, on assiste à une accélération phénoménale de l’industrie d’exploitation de l’Amérique et de la mise en esclavage des Africains. Cette activité, au départ exclusivité des Portugais et des Espagnols sous la bénédiction du Vatican, voit l’arrivée ensuite des Hollandais, des Britanniques, des Français, des Danois-Norvégiens, des Suédois, des Allemands brandebourgeois, des Suisses, des Européens-Américains et Européens-Brésiliens. C’est cette activité criminelle qui a enrichi et développé l’Europe, alors très pauvre au sortir du Moyen-Âge.
Qui étaient les déportés ?
Après l’effondrement de l’Afrique richissime et ses Etats légitimes sous les coups des esclavagistes portugais, presque partout à l’époque gouvernent des roitelets noirs armés et souvent installés par l’Europe, et dont les revenus ne reposent que sur la collaboration avec l’Occident.
On trouve aussi comme intermédiaires sur le sol africain des Arabes, mais surtout les fameux Lançados, ces puissants métis fils de délinquants portugais et d’Africaines mises en esclavage, élevés dans le mépris des Noirs et qui s’étaient établis le long des côtes africaines.
Dans ce contexte de désordre et de guerres partout, des petits bandits noirs prolifèrent aussi, et assistent les esclavagistes dans la prise et le transport des captifs jusqu’à la côte. Cette collaboration est tout à fait comparable à celle des 150 000 Juifs, jusque parmi les généraux, qui faisaient partie de l’armée d’Hitler.
A part les razzias directes de la part des esclavagistes, une bonne partie des déportés étaient des prisonniers de guerre. La stratégie des Européens fut de détecter la présence de royaumes rivaux, armer un en échange de captifs du camp adverse ; puis aller vers ce camp adverse en danger lui proposer des armes, en échange de captifs de l’autre camp aussi ; exactement comme les Français par exemple auraient vendu des Allemands aux Chinois, si ces derniers leur avaient proposé des armes décisives à la veille de l’invasion de la France en 1940. Les prisonniers de guerre étaient aussi bien des soldats que des civils.
Le dépeuplement de l’Afrique devint si catastrophique à l’époque, qu’il faudra aller capturer les gens toujours plus à l’intérieur, jusqu’en Centrafrique, jusqu’en Ouganda et jusqu’au Soudan du Sud. Le nombre d’adultes sur le continent avait tellement diminué qu’au 19e siècle, les enfants représentaient une partie considérable des déportés.
Les futurs forçats sont pris le plus souvent de nuit par l’attaque au fusil et au feu de leur localité, passant directement du sommeil à l’esclavage. Nombreux de leurs proches meurent directement pendant le raid. Les vieux jugés invendables, sont abandonnés à leurs fins. Les autres sont liés par des carcans en bois et des cordes, et marchent jusqu’à la côte pendant des jours où beaucoup mourront encore.
Battus, tenus par des fusils, suicidaires et en larmes, les tentatives d’évasion des kidnappés sont souvent vaines. Ils arrivent aux ports d’achats où on les attache par de lourdes chaines. C’est là que commence véritablement leur préparation à l’esclavage.
Tuer l’Afrique en eux
On commence par déshabiller les Africains et défaire leurs coiffures totémiques voir couper leurs cheveux. Tout doit être fait pour les arracher de leurs racines et détruire leur identité. Il faut les tuer de l’intérieur et les transformer en machines uniquement. Les missionnaires blancs sont là – la croix et la Bible à la main – pour enfoncer dans les esprits des Africains l’image d’un Dieu blanc à travers Marie et Jésus, et installer ainsi leur soumission psychologique aux Blancs qui sont par conséquents divins.
Les Africains ne sont plus Mbundu, Ganda, Fang, Tikar, Igbo, Mende, ni même princes, forgerons, soldats, agriculteurs, médecins etc… Ils ne sont plus qu’une chose : Nègre.
C’est dans les hangars et les forts sur la cote, au milieu des bruits de chaines, de fouets, des cris et des pleurs incessants qu’ils vont attendre pendant des jours que les transactions se terminent. Les mauvaises conditions de vie dans ces « entrepôts » font aussi des morts. Si certains ont entendu dire qu’ils s’en vont travailler de force, beaucoup se demandent si les Blancs sont des cannibales et vont les manger.
Les bateaux
L’historien guadeloupéen Levy Lémane Coco dit « Au moment de l’embarquement, des tentatives de suicide sont fréquentes malgré le rituel imposé pour combattre le désespoir. Les futurs esclaves doivent faire le tour un certain nombre de fois de « l’arbre de l’oubli » pour oublier leur identité. Il convient également de faire trois fois le tour de « l’arbre de retour » pour qu’à la mort du captif, son âme revienne au pays des ancêtres. Ces préparations psychologiques ne se sont pas avérées suffisantes, car certains préfèrent se donner la mort » [1].
Les Européens se sont posés une question très pratique à cette époque : comment transporter un maximum de « marchandises » dans un minimum d’espace. Ils y ont répondu de la manière la plus effroyable qui soit.
Les fonds de bateaux étant des espaces sans ouvertures permanentes, l’humidité devient vite infernale. Les Africains font leurs besoins sur eux-mêmes. De nombreux atteints de dysenterie se vident dans des coliques douloureuses. Les maladies et le mal de mer font vomir beaucoup. Les femmes accouchent sur place. Les rats, innombrables, répandent la crasse. L’odeur finit par vite devenir irrespirable, pestilentielle et est ressentie jusqu’au pont où se trouve l’équipage.
Les hurlements, les pleurs, les suffocations, les coups contre les parois, les délires de personnes agonisantes et d’autres devenues folles se croisent pendant des heures, voir des jours. Le fait de rester immobile favorise les infections de la peau, les pneumonies, et certainement les embolies pulmonaires. A cela vient s’ajouter la rougeole, la variole, la dénutrition. Le désespoir, la dépression amènent beaucoup à se laisser mourir.
Après 8 jours en mer, le trafiquant Richard Drake dit « Je suis de plus en plus déprimé d’acheter et de vendre des Êtres humains pour en faire des bêtes de somme. Le huitième jour, j’ai fait ma ronde sur le demi-tillac, un sac de camphre entre les dents ; car la puanteur était horrible. Malades et mourants étaient enchaînés ensemble. J’ai vu des femmes enceintes donner le jour à leur enfant alors qu’elles étaient enchaînées à un cadavre que le surveillant, pris de boisson, n’avait pas fait disparaître » [2].
Au lever du jour l’équipage vient faire l’inspection. Les morts sont retirés et jetés à la mer. A peine leurs corps ont-ils frôlé l’eau qu’ils sont déchiquetés par des requins dans des éclats de sang. Les bateaux esclavagistes ont ainsi voyagé avec des bans de requins autour d’eux.
On dit souvent que 2 millions d’Africains gisent au fond de l’Océan atlantique parce que jetés par-dessus bord. Cette image de Noirs au fond de l’eau est poétisée par les Africains depuis des décennies. La vérité est qu’il n’en reste pas grand chose. Nos ancêtres ont servi de nourriture aux requins de l’Atlantique pendant 400 ans.
Ceux qui ont survécu la nuit sont montés sur le pont quand le temps le permet, toujours enchainés. On leur donne à manger. On utilise des outils métalliques pour forcer les bouches de ceux qui font la grève de la faim à s’alimenter. Les hommes sont d’un coté du pont, les femmes de l’autre. Un nombre incalculable d’Africaines sera violé par les Européens. Certaines arriveront en Amérique enceintes. Malgré leurs misères, elles lavent et confortent les enfants à bord comme elles peuvent.
L’équipage asperge les Africains d’eau à l’aide de seaux. Afin de chasser la tristesse ou animer les négriers, on les force à chanter et danser, à coup de fouets s’ils sont lents à s’exécuter. Les blessures que font le fouet sont si terribles que les entailles ensanglantées s’infectent souvent et peuvent tuer. La violence règne en maitre sur le bateau, les Européens sont armés de fusils et de cannons pointés sur les Africains.
Pour décourager les révoltes, on menace de les jeter à l’eau. Un marin mettra ainsi le bas du corps d’une femme à la mer, avant de le remonter à moitié dévoré par les requins. Un embarquement sur 10 se révoltait. Les meneurs pris étaient pendus ou décapités. Mais beaucoup essayeront encore de se suicider en se jetant. Les bateaux seront par conséquent équipés de filets sur le pont empêchant les Africains de plonger.
Au fur et à mesure que le voyage continue, le nombre de morts augmente.
A propos d’un bateau américain ayant transporté 840 Africains dont 400 enfants, McClement dit « Il serait absolument impossible de décrire ce qui se présentait à nous quand nous sommes allés à bord la première fois ; et il serait également difficile pour quiconque qui ne l’a pas vu, de comprendre l’ampleur de la misère, de la souffrance et des horreurs que contenaient les murs en bois de ce vaisseau. (…) Hommes, femmes et enfants entassés les uns contre les autres, certains amaigris comme des squelettes, certains couchés malades et inconscients, certains sur le point de passer vers l’autre monde (…) Tous sont nus et ont la peau recouverte de la saleté dans laquelle ils sont couchés » [3].
Robert Wauchope dit « (les Africains) sont couchés sur le dos sur le pont à esclaves. La tête de l’un entre les jambes de l’autre, tous enchaînés ensemble. Ainsi vous pouvez concevoir l’horreur, la saleté et l’abomination de ces ponts à esclaves après un long passage (…) quand nos hommes sont descendus pour faire monter quelques unes de ces pauvres créatures sur le pont, la puanteur et le besoin d’air pur étaient tels qu’ils devaient absolument remonter après quelques minutes » [4].
Alexander Bryson à propos d’un navire portugais « 392 créatures misérables entassés dans un petit bateau de 80 tonnes, presque tous des enfants : 12 cas de variole et à peu près 50 cas de démangeaison … la plupart sont des squelettes vivants, plus que de la peau et des os » [5].
James Edward Bowly parle des survivants d’un bateau espagnol dont 200 des 540 Africains étaient morts après 48 jours « Ils étaient dans la condition la plus affreuse dans laquelle des Êtres humains puissent être (…) le pont à esclave n’était pas plus haut que 5 pieds 6 pouces (1m70), et comment ils ont pu y entasser 540 (personnes), je n’arrive pas à le concevoir (…) le plus dur était de les voir sortir d’en bas, affligés de toute maladie imaginable, et certains d’entre eux étaient des squelettes marchants, avec les os qui ressortaient à travers la peau. Un grand nombre était trop faible pour se lever. On était obligés d’envoyer les hommes blancs pour les passer comme des sacs » [6].
Thomas Nelson dit « aucune plûme ne peut décrire (la réalité de la situation) … la plupart d’entre eux ressemble à des squelettes vivants » [6].
Robert Walsh dit encore « La chaleur de ces places horribles était si forte et l’odeur si offensive qu’il était pratiquement impossible d’y pénétrer (…) 517 créatures de tous âges et sexes (…) dans un état de nudité totale » [7].
Il était courant pour les négriers de surcharger leurs bateaux, vu qu’ils savaient qu’une bonne partie de leur « marchandise » allait périr avec le voyage. On parlait alors de marchandise avariée. C’est ce que les Français appelaient dans leur comptabilité financière « des morts à déduire ».
Le Massacre du Zong
En 1781, le bateau négrier britannique Zong part d’Accra au Ghana actuel avec 442 Africains, alors qu’il est conçu pour en transporter seulement 200. 62 Africains meurent en route. Le Zong traverse par erreur sa destination qu’est la Jamaïque. Il faut faire marche arrière mais l’eau n’est pas suffisante pour les 10 jours de voyage qui restent. L’équipage britannique décide donc de jeter à l’eau des Africains pour tenir le reste du voyage et toucher l’assurance pour noyade volontaire des esclaves en cas de danger.
Malgré la pluie qui remplit les réserves d’eau, le plan sadique est mis à exécution. 54 femmes et enfants sont jetés le premier jour, 42 hommes le deuxième puis 36 le troisième. Le Zong arrive à la Jamaïque avec 208 Africains, ce qui signifie que près de 50 avaient encore disparu entre temps.
L’arrivée d’un bateau esclavagiste aux Amériques est annoncée par l’odeur, perceptible au loin. Richard Drakes dit encore « Les Noirs étaient littéralement comprimés entre les ponts comme dans un cercueil, et c’est un cercueil qu’est devenue cette cale atroce : avant d’atteindre Bahia (Brésil), nous avions perdu presque la moitié de notre chargement » [2].
Les Africains survivants de l’effondrement des Etats, des guerres, des razzias, de la marche, des hangars d’achat et des monstruosités de la traversée arrivent dans un état épouvantable. Certains auront passé 9 mois en route depuis leur kidnapping. Ils sont nourris, recoiffés et oints d’huile pour leur donner une apparence présentable. Ensuite ils sont exposés sur les marchés à esclaves et achetés.
Les Africains se rendent donc compte qu’ils ne vont pas être mangés mais une nouvelle vie commence, celle des camps de concentration dans les plantations, où ils mourront horriblement maltraités, désorientés, humiliés, épuisés.
Les bateaux négriers retournent en Europe avec l’odeur de leur activité sordide. C’est là l’origine du mythe de l’odeur des Noirs en Occident jusqu’à nos jours.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- [1] Regards sur l’esclavage dans les colonies françaises, Levy Lemane Coco, page 35.
- [2] Idem, page 39
- [3] Envoys of Abolition, Mary Wills, page 101
- [4] Idem, page 97, 98
- [5] Idem, page 99
- [6] Idem, page 102
- [7] « Aboard a Slave Ship, 1829, » EyeWitness to History, www.eyewitnesstohistory.com (2000).