Au 14e siècle, est née au Cameroun cette culture remarquable, qui a pour particularité d’avoir atteint son apogée pendant la colonisation…
Aux origines
Les Bamoum ou Bamoun sont un peuple de l’ouest du Cameroun. Ils font partie, avec les Bamilékés et les peuples du nord de la partie anglophone du pays, du grand groupe Grassfield. Ils situent leur origine en Egypte. Cette ascendance avait été aussi avancée par Cheikh Anta Diop dans Nations Nègres et Culture (p. 392), en s’appuyant sur les travaux de DW Jeffreys. Le fait le plus impressionnant concernant cette origine est le Noun.
Le Noun est un fleuve en pays Bamoun, qui a donné son nom au territoire dans lequel est concentré ce peuple. Le Noun est surtout l’eau sacrée de la Spiritualité égyptienne. L’eau mythique qui était là avant le Créateur et la Création. Le Noun était l’eau pleine de germes de vie, dans laquelle Imana (Dieu) a pris connaissance de lui-même/elle-même, et qu’il a organisée pour créer le monde par son Energie.
Les Bamoun ont donc migré du Nil au nord du Cameroun où ils faisaient partie du peuple Mboum. Du nord, une partie des Mboum est descendue vers le sud, ce sont les Tikar. C’est au 14e siècle qu’un groupe de Tikar quittera ses terres pour fonder un nouveau royaume.
Ncharé, le fondateur
En raison de querelles de succession, la reine Yen, noble d’un royaume Tikar, décide de partir avec ses enfants et ses fidèles. Après une traversée difficile du fleuve Mbam et une attaque de buffle dans la forêt, Yen et les siens sont accueillis par le chef Mankoup. Ncharé, fils de Yen, attaque le chef et prend le dessus sur lui, en lui arrachant sa couronne faite de guêpes.
Le clan de Yen soumet par la guerre village après village. Dans cette progression, le roi Fonchom résiste, en refusant de combattre. A l’approche des guerriers du clan de Yen, il faisait cacher les siens. Les assaillants, ne trouvant à chaque fois que le roi, ses épouses et ses enfants, ne pouvaient – conformément à l’art africain de la guerre – pas déclarer les hostilités. Il faudra qu’ils soient informés de la cachette pour aller livrer bataille aux guerriers de Fonchom, et soumettre ainsi le régent, qui comme tous les autres, était anobli et confirmé.
Après avoir vaincu 18 rois Grassfield, dont d’autres souverains Tikar, le royaume Bamoun, une fédération de peuples avec à sa tête les enfants de la reine Yen, est constitué. Ncharé affronte lors d’une course sa sœur Mfom et son frère Koumjouom, pour déterminer qui sera roi. Comme dans tous les royaumes africains, c’est celui qui a le plus de force vitale, donc d’énergie divine ressortant ici lors de la course, qui deviendra souverain.
Posé et respecté, Ncharé a les faveurs du peuple contrairement à son frère, costaud, bouillant et pompeux. Par un subterfuge des fidèles de Ncharé, Koumjouom est ralenti dans son départ, Ncharé remporte la course. Le royaume Bamoun naît en 5630 de l’ère africaine (1394 ap. JC), avec Ncharé Yen comme premier Mfon (roi).
Mbouombouo, le conquérant
Au 18e siècle, Mbouombouo, 11e Mfon, soumet 48 tribus supplémentaires à son autorité. Le souverain guerrier, qui était associé au serpent, ira jusqu’à batailler sur 2 fronts, donnant naissance à la légende du serpent à double-tête des Bamoun.
Face aux cavaliers Pa’re qui assiège sa capitale Foumban, Mbouombouo entoure la ville d’un mur fortifié et fait creuser des tranchées géantes autour. Il y plante des pieux pointus et recouvre les creux d’herbes. Les Pa’re attaquent et s’empalent sur les pieux, dans de terribles souffrances, donnant l’avantage et la victoire aux Bamoun. Mbouombouo va multiplier ainsi par 4 la superficie du royaume et le doter d’institutions pérennes.
Le roi était assisté d’un conseil, les Nkom. Conformément à la tradition matriarcale africaine, il régnait avec sa mère. Le Nji Fon était le premier-ministre. Le Manshut Tupanka était le ministre de la défense etc… C’est cet Etat Bamoun amélioré par Mbouombouo, qui va exprimer toute sa valeur sous son roi le plus illustre : Njoya.
Njoya, à l’apogée de la civilisation Bamoun
Fils de la reine Nzabndunké qui assuma la régence avant lui, Ibrahim Mbouombouo Njoya naît en 1876. Il est le 17e roi des Bamoun. Il voit le Cameroun devenir une colonie allemande. Comme les Britanniques, les Allemands appliquent – sur les terres qui ne leur apparaissent pas stratégiques – une colonisation indirecte, laissant les rois régner, tant que ceux-ci reconnaissent le pouvoir colonial. Njoya développe ainsi de bonnes relations avec les colons, au point de se désolidariser des violentes révoltes anticoloniales dans le reste du pays.
Le nouveau roi fait appel aux Peuls pour vaincre un de ses adversaires à l’accession au trône. C’est ainsi que l’Islam entre chez les Bamoun. Passionné de botanique, le Mfon crée de nombreux traitements médicaux à base de plantes. Sa volonté de consigner ses recherches et l’histoire de son peuple le pousse à se doter d’une écriture.
Ecrite avec du charbon ou du jus de liane, la première version du Shumom (l’écriture bamoun) compte 510 signes. Njoya et les savants Bamoun l’amélioreront à 6 reprises, pour ne retenir finalement que 80 signes. Beaucoup de choses ont été dites sur l’origine de cette écriture. On parle d’influence Peule ou Haoussa dans son inspiration, ou d’une création exclusivement Bamoun. Or Cheikh Anta Diop a retrouvé 7 signes communs entre cette écriture et l’écriture égyptienne [1].
Le Shumon prend donc ses racines dans la vallée du Nil. Il est peut-être resté dormant dans des cercles initiatiques Bamoun ou a été effectivement transmis par les Peuls ou les Haoussa, qui sont aussi, selon toute vraisemblance, d’origine égyptienne. Ceci dit, il reste indéniable que c’est Njoya et les savants Bamoun qui l’ont développé.
Amoureux d’art et de techniques, le roi ira jusqu’à faire fabriquer des imprimantes mécaniques. Il fait enregistrer les naissances, jugements, mariages, recensements en Shumom. Une réelle bureaucratie naît. La littérature Bamoun apparaît, avec même avec des bandes dessinés à l’époque. Le souverain écrit des traités d’histoire et de médecine, fait dresser la carte du royaume par son frère Ndji Mama. Face aux guerres religieuses qu’il voit, il théorise une religion syncrétique – c’est-à-dire mélangée – de Vitalisme (animisme) Bamoun, d’Islam et de Christianisme.
Le roi invente un moulin mécanique pour les produits agricoles. Il crée des fosses à teinture, enrichissant l’industrie textile. Assisté de son savant Yohanes Ibrahim Njoya, il ouvre 47 écoles dans le royaume, qui enseigne en Shumom. Une fièvre intellectuelle s’empare du pays. Njoya pousse aussi les sculpteurs et dessinateurs à donner le meilleur d’eux-mêmes. En visite chez le gouverneur colonial allemand, il est envieux de sa haute demeure en dur. Njoya décide donc de retour chez lui, de réaliser son œuvre la plus remarquable : le palais des Sultans Bamoun.
En 1913, après l’incendie de l’ancien palais, Ibrahim Mbouombouo Njoya décide de reconstruire en dur. Le roi fait lui-même les plans et vainc le scepticisme de ses conseillers. Le peuple Bamoun entier suit son souverain et participe à l’édification du palais. A 3 reprises, la construction s’effondre et le roi améliore les techniques. La 4e sera la bonne.
En 1918, après la défaite des Allemands lors de la première guerre mondiale, une partie du Cameroun passe sous tutelle française. La colonisation directe des Français ne tolère pas un roi si puissant et influent. L’orgueil de Njoya irrite les nouveaux colons, qui lui retirent une partie de ses pouvoirs, puis le déposent et l’envoient en exil à Yaoundé où il meurt en 1933. Le Shumom est interdit. La formidable envolée des Bamoun vers le progrès technique et scientifique s’arrête ainsi.
Le royaume Bamoun existe toujours, son roi restant un des chefs traditionnels les plus influents du pays, même si les Bamoun n’ont jamais renoué avec l’esprit que leur avait inculqués le célèbre Njoya.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- royaumebamoun.com
- Histoire de l’Afrique noire, Joseph Ki Zerbo
- Encyclopediae Britannica
- Bdzoom.com
- Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop
- [1] L’Afrique noire précoloniale, Cheikh Anta Diop, page 179