Ipet Isout (Karnak), le plus grand édifice religieux de l’antiquité

« En disant que ce sont les ancêtres des Noirs (…) qui ont construit l’immense temple de Karnak, cette forêt de colonnes, avec sa célèbre salle hypostyle où entrerait Notre Dame avec ses tours (…) on ne dit que la modeste et stricte vérité » Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Culture, page 401.   

Nous allons plonger dans le temps à la découverte du Saint des Saints de l’histoire africaine, de ce lieu vénérable et inégalé de notre patrimoine religieux, de cette démonstration époustouflante d’imagination, de perfection, de force, de prouesses techniques, de génie africain…

Reconstitution d’Ipet Isout

Il y a 4000 ans, Kheperkaré Sen Ouseret (Sesostris 1) commençait l’édification d’Ipet Isout au sud de l’Egypte. Près d’une trentaine de pharaons l’ont par la suite enrichi de constructions sur une période de 2000 ans. Le site vitaliste (animiste) d’Ipet Isout est le plus plus grand site religieux de l’antiquité. Il est 5 fois plus grand que le Vatican. Avec 2 km2 de superficie, il est le deuxième le plus vaste de tous les temps après Angkor Wat au Cambodge, qui a vraisemblablement reçu aussi un apport des Noirs. C’est de l’histoire de cette merveille dont nous allons vous parler. 

Rappel sur la hiérarchie religieuse en Afrique

Comme nous l’avons expliqué dans notre article sur la Religion Africaine, les Africains ont toujours dit qu’il n’y avait qu’un seul Dieu, dont le nom le plus ancien connu est Imana/Amen/Amon. Ce nom signifie « le caché » car Dieu en Afrique ne se révèle pas. Dieu en Afrique est composé d’une partie masculine et d’une partie féminine.

Le Créateur donne la vie principalement à travers le soleil, qui est la plus forte entité énergétique et qui comme lui fait vivre le monde animal et végétal, en liquéfiant l’eau et en faisant la photosynthèse. Le soleil est donc le principal messager de Dieu. Le Créateur qui plus est a plusieurs aspects que nous traduisons ici par formes de Dieu. Lorsqu’il-elle s’occupe de la Justice, il-elle est Maât, de la fertilité il-elle est Aïssata (Isis), de la connaissance il-elle est Djehouty (Thot) etc…

Imana-Râ, Dieu unique de l’Afrique, imaginé sous sa forme masculine (gauche, temple d’Hatchepsout); Et féminine et masculine (Musée du Louvre).

Enfin on accède au Créateur à travers ses formes, ainsi que les ancêtres morts. C’est eux qui doivent transmettre les messages des vivants à Dieu. Par conséquent une organisation religieuse africaine doit avoir des lieux dédiés au culte de Dieu en tant que Tout, des lieux dédiés au culte de son messager le Soleil, des lieux dédiés aux cultes de ses formes quand on veut toucher un aspect particulier, enfin des lieux dédiés au culte de ses intermédiaires que sont les ancêtres. Ce rappel permet de comprendre comment était organisé Ipet Isout.

Aux origines : Ouaset

La ville d’Ouaset (Thèbes) prend une dimension nationale avec l’avènement de la 11e dynastie qui en était issue. Située dans le sud, elle est nommée capitale du pays par Saré Mentuhotep. Les pharaons vont donc commencer à y ériger des bâtisses dignes de son rang.

Le pharaon Saré Mentuhotep, deuxième unificateur de l’Egypte, fondateur du Moyen Empire et de la 11e dynastie. C’est lui qui a fait de Ouaset la capitale du pays.

Le site de la construction d’Ipet Isout n’a pas été choisi au hasard. Il servait d’observatoire astronomique à la base. C’est un des nombreux observatoires qu’ont utilisés les Africains – à partir de la naissance de l’humain moderne – depuis l’Afrique du sud en passant par le Kenya et le Soudan. Cela a permit à nos ancêtres de cartographier le ciel et de découvrir toute la mathématique extrêmement poussée, sur laquelle reposent les anciens monuments.

Les astronomes Norman Lockyer à la fin du 19e siècle et F.S. Richards en 1921 [1], puis Graham Hancock plus récemment [2], ont tous conclu que l’activité de relevé astronomique sur le site est vieille d’au moins 13 700 ans. Encore une fois l’Egypte ne fut que la continuité de l’expérience africaine. Elle cesse d’être un miracle quand on a l’honnêteté de la placer dans son contexte africain.

Kheperkaré Sen Ouseret est crédité d’avoir débuté l’aménagement du temple d’Imana. Ipet-Isout signifie « le lieu le plus parfait de tous ». Sen Ouseret fait construire une chapelle blanche. Dans cette chapelle le pharaon est caché par des rideaux pour ne pas être vu. La pratique rappelle beaucoup celle des empereurs du Mali. C’est à la même époque qu’est érigé le temple de Montou/Mentou, la forme de Dieu responsable de la guerre.

Kheperkaré Sen Ouseret
La chapelle blanche de Sen Ouseret

Ouaset sert de refuge au pouvoir légitime lors de l’invasion du nord de l’Egypte par les Hyksos. C’est pourquoi à la libération, le pharaon Yahmessou – fondateur de la prestigieuse 18e Dynastie et du Nouvel Empire – va lui donner le statut absolument central qu’elle aura durant tout le reste de l’histoire. Le grand roi, ses successeurs et les pharaons de la 19e dynastie sont véritablement à l’origine de la grandeur de l’Ipet Isout.

La transformation

Les pharaons font creuser un lac artificiel en plein milieu de l’édifice. Le lac symbolise le Noun, l’eau primordiale d’où est sortie la Création du monde d’après les Egyptiens. Le pharaon Aakhéperkaré Djehouty-Messou (Thoutmosis I), ajoute 2 obélisques à l’édifice, Djehouty-Messou Neferkhaou (Thoutmosis II) une salle des fêtes. La très pieuse pharaon Hatchepsout rénove le temple de Mout, partie féminine de Dieu.

Hatchepsout fait construire une chapelle dédié à Maât, forme d’Imana garante de la justice et de l’ordre. Elle fait venir des grands Lacs de l’encens pour animer la statue du Créateur. Elle crée également une chapelle rouge qui abrite la barque solaire. Cette barque est sortie en procession lors de la fête d’Opet. Son parcours mime celui du soleil messager de Dieu dans le ciel.

L’obélisque d’Aakheperkaré (Thoutmosis I)
Le pharaon Taharqa menant la procéssion lors de la cérémonie d’Opet
Illustration de National Geographic
Le lac sacré d’Imana
Il symbolise le Noun des origines
Autre vue du complexe du temple de Dieu
Le bélier à l’entrée est l’animal totémique du Créateur

Menkheperrè Djehouty-Messou (Thoutmosis III) – le plus grand pharaon de l’histoire et successeur d’Hatchepsout – fait bâtir l’Akhmenou. Cette construction abrite la fête de la régénération de la force du roi. Dans la tradition africaine, après un certain temps, le roi doit démontrer qu’il a toujours suffisamment de force pour continuer à gérer son pays. Il le fait lors de la cérémonie du Sed en Egypte.

Djehouty-Messou fait par ailleurs graver dans Ipet Isout les témoignages de ses très nombreuses victoires militaires et y écrit un hymne vibrant à Imana en remerciement de ses exploits. Sous le grand roi apparaissent de nombreuses échoppes permettant aux Africains de se ravitailler en biens à donner en offrandes à Dieu ou à ses formes.

L’Akhmenou de Menkheperrè
L’intérieur de l’Akhmenou
Des couleurs ont survécu. On se demande comment ils ont fait pour poser des dalles si lourdes au dessus des piliers
L’Akhmenou et ses pilliers en forme de plante fasciculées

Menkheperouré Djehouty-Messou (Thoutmosis IV) va se démarquer par la construction de son temple en tant qu’ancêtre divin et d’un obélisque haut de 33 mètres. L’obélisque fut arraché par les Européens et trône aujourd’hui au Vatican sous le nom de l’obélisque de St Jean de Latran.

Mais le plus beau à Ipet Isout est le magnifique Hall hypostyle dans le temple d’Imana. Sa construction commence sous Horo m Aba (Horemheb), à partir des legs du début de la 18e dynastie. Les 4 premiers rois de la 19e dynastie : Pa-Ramessou (Ramsès 1), Ousiré Souti (Seti 1er), Ramessou Maryimana (Ramsès II), Baniré (Merenptah) vont la poursuivre. Souti est celui qui fera le plus. Le Hall hypostyle couvre une superficie de 5000 m2 et peut accueillir sans peine la Cathédrale Notre Dame de Paris.

Il compte 134 colonnes disposées en 16 rangées. 122 colonnes sont hautes de 10 mètres, et les 12 autres de 21 mètres avec un diamètre de 3 mètres. Les dimensions sont absolument gigantesques. Très richement colorés à l’origine, les pylônes sont ouverts en leur sommet avec une forme de papyrus magnifique. Les anciens Africains, toujours animés par l’esprit de perfection, y gravent des scènes de vie et des écrits religieux.

De gauche à droite 4 pharaons bâtisseurs du Hall hypostyle : Horo m Aba; Souti ; Ramessou Maryimana fils de Souti ; Mery n Ptah fils de Ramessou
Le Hall hypostyle
Admirez…
Le Hall hypostyle
La précision des gravures sur les pylônes est prodigieuse
Reconstitution du hall et de ses 134 colonnes par l’Université de Memphis
Constructions de Ramsès II au temple de Karnak
Les 2 statues gigantesques à l’entrée de l’édifice représentent le pharaon
Tout comme l’obélisque de la Concorde à Paris vient du temple de Ramessou Maryimana, celui de St Jean de Latran au Vatican vient aussi d’Afrique

Ramessou Hekayounou (Ramsès III) et son fils Ramessou Hekamaât (Ramsès IV) font construire le temple de Khonsou, divinité symbolisée par la lune.

Le personnel du temple

Le Savant Serge Sauneron nous dit dans son ouvrage Les prêtres de l’ancienne Egypte page 53 : « A Karnak, au temps de la faveur d’Amon, c’était probablement par centaines – par milliers peut être – qu’il fallait évaluer les membres du personnel présents dans le temple au cour du jour : sous Ramsès III (1198-1166), un papyrus nous donne le total des hommes au service d’Amon – autant prêtres que paysans sur sa terre, chasseurs, bateliers, administrateurs, ouvriers divers : Ce chiffre s’élève a 81 322 personnes !…Et nous apprenons par la même occasion que ce dieu fortuné disposait de 433 jardins, 2393 Km2 de champs, 83 bateaux, 46 chantiers de construction, et 65 bourgades consacrées à la seule mise en valeur des domaines sacrés…

A Voir ces chiffres, on comprend l’importance exceptionnelle du personnel d’Amon et l’on imagine aisément la quantité étonnante de prêtres et d’hommes de toutes fonctions qui pouvaient être attachés au culte et a la gestion matérielle d’un tel organisme : On a pu compter jusqu’ a 125 fonctions diverses parmi le personnel attaché au service de cette toute puissante divinité. »

Ce personnel important de prêtres, d’initiés, de paysans, d’administrateurs, de scribes, etc…. s’organisaient pour la préparation des offrandes, la préparation des vêtements et parures de la statue divine, le soin des objets de culte, l’enseignement dans les écoles dites maisons de vie.

Ce personnel était au service de la divinité, le seigneur, dont la présence était matérialisée par sa statue présente dans le temple que nos ancêtres appelaient Hout (le château), Hout Ntjer (le château du Seigneur). On voit ici encore une fois une trace de l’origine de l’organisation des châteaux qu’on retrouve plus tard en Europe. Nous avons parlé de l’origine africaine des chateaux-forts dans un article.

Le culte en lui-même

Le culte était rendu trois fois par jour : le matin au lever du Soleil, à midi lorsque le Soleil est au Zénith, le soir au coucher du Soleil. Imana et chacune de ses formes (divinités, ancêtres divins) avait une prêtrise (groupe de prêtres et prestresses) qui s’occupaient de chaque culte. 

Au lever, ceux qui officiaient dans le temple devaient se raser et prendre un bain rituel avec des ablutions dans le lac sacré du temple, lac symbolisant le Nil et aussi le Noun des origines. Ils devaient aussi se laver la bouche, avec du natron notamment, pour qu’elle soit propre et pure avant de pouvoir prononcer les invocations.

Ensuite ils devaient se vêtir de lin blanc et se diriger en procession dans le sanctuaire, vers le saint des saints du temple : le Naos. 

Exemple de Naos abritant la statue d’Imana ou d’une de ses formes. Ce Naos est revêtu de feuille d’or et date du règne du pharaon Tuanga Imana (Toutankhamon). Les Naos pouvaient être aussi en pierre.

Puisque le Naos était dans l’obscurité, il fallait du feu pour éclairer l’espace. Le feu était donc allumé. Tout en chantant et psalmodiant des cantiques, les officiants faisaient des libations, puis ils brûlaient de l’encens et purifiaient ainsi l’espace consacré. Le Naos était ouvert, laissant apparaître la statue divine. Cette statue était nécessaire car elle servait de corps physique permettant à l’énergie divine invoquée de s’incarner dans le temple et lors des rites.

Le pharaon Menkheperre Djehouty-Messou (Touthmosis III) devant Imana. Le pharaon tient de l’encens et exécute le rituel des libations

Les officiants des temples se prosternaient devant la statue divine en signe d’adoration, et faisaient les invocations journalières ou les intentions du jour. Ils faisaient des offrandes (ex : nourriture) sur un autel. 

Le pharaon Ousiré Souti (Sethi 1er) officiant lors du culte divin journalier, et faisant le rituel de l’offrande de nourriture à Aissata (Isis)

Puis les officiants faisaient l’offrande de la statue de Maât afin de montrer à Imana ou une de ses formes la pureté de leur cœur, et la sincérité de leurs intentions.

Ousiré Souti faisant le rituel de l’offrande de Maât lors du culte. On peut voir la petite figurine de Maât qu’il tient dans sa main

La statue divine était ensuite toilettée. On lui changeait les vêtements de la veille pour lui en mettre de nouveaux, ainsi que de nouvelles parures qui restaient pour la journée. Le Naos était refermé et les officiants se retiraient.

Pour le midi et le soir, les rites étaient les mêmes : ablutions, se vêtir de blanc, encens, invocations, ouverture du Naos, offrandes de nourriture, offrandes de Maât.

Les populations exécutaient ces mêmes rites dans leurs maisons, dans des espaces préparés pour ce faire, avec une statue d’Ousiré (Osiris) ou des statues symbolisant les ancêtres par exemple.

Lors des grandes fêtes religieuses, la statue divine était sortie du temple et portée en procession en dehors de celui-ci. C’était les seuls moments où le peuple pouvait apercevoir la statue divine. Cérémonies étaient rythmées par des processions, des chants, des danses, des adorations, et les populations pouvaient recevoir des bénédictions, des oracles qui était donnés par les prêtres et les initiés.

Cheikh Anta Diop nous dit encore dans son ouvrage Civilisation ou barbarie, que « Les oracles rendus par le dieu lors de ses sorties s’effectuent par inclinaison de la barque dans un sens positif en avant (affirmation) ou négatif en arrière (négation) : ces mouvements sont imposés aux porteurs par une brusque augmentation mystérieuse de poids qui devient insoutenable ».

On retrouve aujourd’hui encore des faits décrits ici par Cheikh Anta Diop un peu partout en Afrique, à Madagascar, chez les Baoulés de Côte d’Ivoire ou leurs descendants Boni en Guyane française. 

Prêtres et initiés portant en procession une barque dans laquelle se trouve un Naos avec la statue divine d’Imana à l’intérieur lors d’une cérémonie religieuse.

La fin

Le dernier roi à faire des travaux majeurs à Ipet Isout est le soudanais Taharqa. Sortant de la période trouble du règne des Noirs libyens sur le nord du pays, il restaure l’édifice, lui redonne sa place religieuse centrale, et y ajoute un kiosque géant.

Les ruines du temple de Khonsou
Remarquez l’homme devant la grande porte. Il donne une idée du gigantisme du temple
Le kiosque de Taharqa avec son pylône à droite
Vue d’ensemble du site

Ipet Isout sombrera avec l’invasion romaine de l’Egypte il y a 2000 ans, puis l’interdiction de l’Animisme, remplacé dans la violence par le Christianisme romain.

Hotep !

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • [1] The first Americans were Africans, David Imhotep, pages 132 et 133
  • [2] Idem, page 144
  • Serge Sauneron, Les prêtres de l’ancienne Égypte
  • Cheikh Anta Diop, Civilisation ou Barbarie
  • Alexandre Moret, le rituel du culte divin journalier en Égypte
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