Un homme jeune et charismatique, une intelligence exceptionnelle, la lutte contre l’apartheid, une vie courte, une mort horrible, tout cela a fait de Steve Biko une icône dans l’imaginaire noir. Mais au-delà des citations isolées qu’on voit quelquefois, nous allons découvrir la pensée très riche d’enseignements – et sous certains aspects étonnante – de cet ancêtre glorieux.
Bantu Stephen Biko naît en 1946 dans l’Afrique du Sud ségréguée, dominée par le système raciste des colons hollandais et des Anglais venus plus tard. Il a 4 ans quand son père décède. Sa mère supporte seule, dans des conditions difficiles, les besoins de toute la famille. Biko est élevé dans la tradition Xhosa et le christianisme anglican. A 18 ans, il entre dans l’âge adulte à travers le rite initiatique d’Ulwaluko, lors duquel il est circoncis.
La naissance d’une pensée
Élève brillant, il rejoint son frère Khaya dans la localité de Lovedale. Il développe de la sympathie pour le Pan African Congress, son organisation et ses idées centrées sur l’affirmation de l’identité noire et africaine. Les deux frères sont arrêtés, suspectés d’appartenir à la branche armée du parti, puis innocentés mais expulsés de Lovedale. Biko envisage alors des études de droit, mais son entourage inquiet de son activisme politique montant, le convainc de choisir une carrière sécurisante de médecin.
En 1966, Steve Biko a 20 ans quand il entre à l’aide d’une bourse dans la section « non européenne » de l’Université ségréguée du Natal à Durban. Dans le milieu étudiant, ce sont des Blancs progressistes qui organisent l’opposition à l’apartheid. Biko au départ est ouvert à l’idée d’une union large. Puis il arrive à la conclusion que les Blancs progressistes sont paternalistes et que leur volonté de déterminer l’idéologie, le sens et la chronologie de la lutte des Noirs, repose sur la même pensée que celle des Blancs ouvertement racistes, à savoir que les Noirs sont inférieurs. Les associations multiraciales sont donc pour lui un leurre, vu que les Blancs veulent toujours s’y poser en Maîtres.
Par ailleurs les Blancs progressistes, d’après lui, n’abandonneront jamais, pour la lutte des Noirs, les privilèges que leur donne leur couleur. Le problème étant le racisme blanc, les Blancs sincères qui veulent réellement la fin de l’apartheid doivent lutter contre le système. Il ne leur revient pas de se donner pour rôle paternaliste de diriger les Noirs et de calmer leur colère, au point de traiter de racistes les organisations noires desquelles ils sont exclus, parce que leur sentiment d’intelligence supérieure a été froissé.
Biko en vient surtout à la conclusion que le premier problème des Noirs est le complexe d’infériorité, le manque de confiance et la peur. Cette condition psychologique est le terreau de leur exploitation et est incompatible avec la lutte pour la libération. C’est pourquoi il dit cette phrase, la plus connue de lui jusqu’à nos jours « L’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est l’esprit de l’opprimé ».
Black Consciousness, la pensée de Steve Biko
Biko dit « Le principe de base de la Conscientisation Noire (Black Consciousness) est que l’homme noir doit rejeter tous les systèmes de valeurs qui cherchent à faire de lui un étranger dans son pays de naissance et à réduire sa dignité humaine fondamentale ». Le but de la Conscientisation Noire est de rendre à l’Homme noir sa fierté en tant que Noir et Africain afin qu’il soit apte à la lutte.
Biko affirme que l’Afrique du sud est un pays africain et la terre naturelle des Noirs. Les autres peuples qui y vivent doivent s’accommoder de cette identité africaine qui doit être dominante. D’après son diagnostic, les éléments sur lesquels repose le manque de fierté des Noirs sont :
- L’histoire noire falsifiée qui fait croire à l’homme noir qu’il est un barbare incapable depuis la nuit des temps.
- Les langues européennes qui font du Noir tout ce qui est mauvais.
- La religion chrétienne qui sert à opprimer les Noirs, alors que la Spiritualité Africaine a été salie par le système dominant et décrite comme de la superstition illogique.
- La culture noire qui a été écrasée au profit des normes culturelles occidentales.
- Les critères de beauté qui font croire aux Noirs qu’ils sont laids et que la beauté est blanche.
Steve Biko pense par conséquent qu’il faut ressusciter et populariser l’histoire et la culture noires, convaincre les Noirs de leur beauté, rendre le mot noir positif, rétablir la vérité sur la Spiritualité Africaine et faire en sorte que le Christianisme cesse de servir à l’oppression des Noirs.
La philosophie des membres du Black Consciousness Movement (BCM) est de ne compter que sur eux-mêmes. Biko dit « Homme noir, tu es tout seul ». Il s’agit de s’approprier – en tant qu’Êtres humains entiers et responsables – seuls la direction de la lutte des Noirs contre l’apartheid.
La libération est d’abord mentale. Elle commence par s’attaquer à tous les éléments psychologiques qui enchaînent les Noirs et les empêchent d’exprimer pleinement leur potentiel. La libération est aussi économique et passe par un communautarisme économique noir. Steve Biko entretient des relations amicales avec des leaders progressistes blancs mais exclut les Blancs du BCM. Le mouvement accepte les Métis et les Indiens.
L’action
En 1969, le South Africa Students’ Organisation (SOSA), le syndicat étudiant noir, est fondé par Steve Biko et ses compagnons de lutte. En 1971 le manifeste du Black Consciousness, idéologie de la SOSA est adopté. Biko n’a que 25 ans !!! Son éloquence formidable et sa vivacité d’esprit font mouche. Le SOSA se lance dans une campagne d’éducation centrée sur le renforcement psychologique des Noirs. Biko a pour Slogan « Black is beautiful ». Le SOSA s’impose dans les campus sud-africains et son chef, qui écrit ses idées sous le pseudonyme de Frank Talk, s’élève au premier rang de la lutte contre l’apartheid.
La fin tragique
En 1973, le BCM est déclaré dangereux par les autorités. Biko est intimidé, accusé de terrorisme, mis en résidence surveillée, on tire sur sa maison. Il trouve tout de même des relais pour communiquer avec l’extérieur et reste un des principaux théoriciens de la lutte. Il lève des fonds pour la construction de centres de santé, de crèches, pour l’assistance des prisonniers politiques, et fait financer des bourses d’études.
En 1976, le gouvernement des colons hollandais veut imposer sa langue (l’Afrikaans) comme principale langue d’enseignement dans les écoles noires. Le 16 Juin 1976, supportés par le BCM, 20 000 élèves noirs de Soweto protestent en réaction et la police blanche tire. Entre 176 et 700 personnes, surtout des enfants et des adolescents, sont tuées. Le pays s’embrase, ce sont les tristement célèbres émeutes de Soweto. La répression contre les membres du BCM s’accentue.
Harcelé par la police, Steve Biko est arrêté le 18 Juin 1977 à Ikapa (Capetown) pour avoir rompu sa mise en résidence surveillée. Il est transporté dans une maison à Port Elizabeth où il est enchaîné et horriblement torturé. Les coups et les blessures le défigurent, lui causent une hémorragie cérébrale massive et une insuffisance rénale. Il plonge dans le coma. Il est emmené nu, durant un voyage de 12h, sans assistance médicale et à l’arrière d’une voiture banale jusqu’à la prison centrale de Pretoria et est laissé agonisant sur le sol de sa cellule. Il meurt le lendemain 12 Septembre 1977. Il a 31 ans.
20 000 personnes se rassemblent pour ses obsèques. Ce sont les premières funérailles de masse comme l’Afrique du Sud en connaîtra beaucoup, jusqu’à la fin de l’apartheid.
Que retenir de Steve Biko?
Ce qui est frappant, c’est l’angle sous lequel le monde noir connaît Steve Biko aujourd’hui, avec superficialité, simplement comme un jeune homme charismatique qui s’est battu et qui est mort. Non, le plus précieux héritage de cet homme c’est sa pensée. Le diagnostic et les solutions qu’il a proposés sont hautement dignes d’intérêt. D’une certaine façon c’était de l’Afrocentricité, c’est-à-dire fortifier les Noirs dans leur identité africaine, pour les rendre aptes à la lutte économique et politique. C’est cela qu’a aussi pensé Cheikh Anta Diop et c’est l’idéologie du courant afrocentrique auquel Lisapo ya Kama appartient. La philosophie de Steve Biko doit donc être retenue et étudiée par les Africains aujourd’hui.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- – I write what I like, Steve Biko
- – Steve Biko foundation
- – Encyclopaedia Britannica
- – (*) Photo de John Burns pour le New York Times