Affonso 1er, le tournant et le déclin du royaume Kongo

La vie de ce roi très controversé est aussi celle d’un homme, dont l’histoire est associée au basculement de l’Afrique dans la période esclavagiste…

« Moi, Affonso, par la grâce de Dieu, roi de Kongo, de Loango, de Kakongo et de Ngoyo, d’en deçà et d’au-delà du Zaïre, seigneur des Ambundu et d’Angola, d’Aquisima, de Musuru et des Anzico, de la conquête de Pangu-Alumbu… » [1]

Affonso 1er Mbemba a Nzinga, roi du Kongo
Illustration de Carl Owens

En 1506, à la mort du roi Nzinga a Nkuwu, Affonso Mbemba a Nzinga, gouverneur de la province de Nsundi, réclame le trône de Kongo dia Ntotila alors promis à son frère cadet Mpanzu a Nzinga. Favori des portugais et de l’aile chrétienne, Affonso affronte violemment le nouveau roi Mpanzu, anti-portugais et défenseur des vitalistes (animistes).

Avec le soutien militaire du Portugal, Affonso s’installe définitivement sur le trône, suite à la mort de Mpanzu sur le champ de bataille. Par la force, il se fait élire Mwene Kongo (roi du Kongo). En tant que roi et donc fils de Dieu comme le veut la règle africaine du pouvoir, il porte le titre de Nzambi Mpungu (Dieu créateur).

Le nouveau souverain hérite d’un Etat vieux de près de 200 ans. Les Européens y décrivent un système monétaire tenu par les femmes, des routes propres avec péage et l’historien Frobenius parle des habitants comme des gens habillés de « soie, de velours… civilisés jusqu’à la moelle des os » [2].

La capitale Mbanza Kongo est une ville de près de 40 000 habitants d’après Dapper. Le palais du roi, aussi grand qu’une ville, est fermé par 4 murailles. J.F de la Harpe ajoute « La ville (…) est sur un haut plateau (…) d’environ 10 milles (16 Km) de tour est si bien cultivé et si rempli de villes et de villages que dans un si petit espace elle contient plus de 100 000 âmes » [3].

Ville ancienne de Loango dans l’empire Kongo
Reproduction de l’historien hollandais d’Olfert Dapper au 17e siècle

Dapper dit de Loango « A peu près de la grandeur de (la ville de) Rouen, mais les bâtiments ne s’y touchent pas (…) elle a de grandes rues transversantes que les habitants ont grand soin de tenir nettes. Il y a devant les maisons de grandes allées de palmiers, de bananiers, de bakoves. Les maisons sont longues. Le toit est appuyé sur des mats soutenus par des colonnes (…) il y a dans les maisons 2 à 3 chambres séparées de même qu’en Europe » [4].

La prospérité du royaume repose sur la métallurgie (fer, cuivre, or), l’agriculture et ses très abondants produits, ainsi que sur le travail du textile de très haute qualité. Kongo dia Ntotila est un royaume savamment organisé autour d’un roi qui donne, conformément à la tradition africaine, un rôle de premier ordre à sa mère.

Le roi lui-même, est normalement choisi parmi les fils et neveux du défunt souverain, élu par les grands électeurs et acclamé par le peuple. Il est appuyé par un conseil royal fait d’hommes et de femmes, de ministres et par des gouverneurs provinciaux.

Kongo dia Ntotila s’étend sur l’Angola, les deux Congo et le Gabon. C’est cet Etat avec son administration sophistiquée qui va bientôt basculer dans le vide.

Le règne

Affonso décide de centraliser une administration reposant sur les rois provinciaux et veut faire progresser techniquement le royaume grâce au contact avec les Européens. Mbemba a Nzinga s’est converti des années avant au christianisme en prenant le nom portugais d’Affonso. C’est un homme de plus en plus radicalisé qui exerce le pouvoir suprême. Alors que son père Nzinga a Nkuwu, qui avait accueilli les Portugais, les avait tenus à distance des affaires de l’Etat, Affonso lui règne avec eux. Ils ont même le droit de veto sur ses décisions.

Le Mwene converti les baKongo par la persuasion ou la force, fait brûler les supports (statuettes) du culte animiste, et va jusqu’à faire enterrer vivante une de ses tantes qui refusait la conversion. Il met au pas le clergé vitaliste, érige le christianisme en religion d’Etat et réorganise l’administration sur le modèle portugais

Grâce à la coopération avec les Européens présents dans le pays depuis 1482, il bureaucratise l’administration, équipe ses armées de canons et de mousquets, établit des relations diplomatiques avec les autres Etats européens et le Vatican, ouvre des écoles dans tout le pays qui enseignent les sciences humaines dont la théologie, le kikongo, le portugais et le latin.

Mbanza Kongo, la capitale, avec son millier d’étudiants en 1516 devient un haut lieu d’études à l’exemple de Tombouctou au Songhaï. Le Mwene envoie de nombreux jeunes, boursiers du gouvernement kongo, dont ses propres enfants, étudié en Europe. Son fils Henrique y sera fait évêque et dirigera l’église à son retour.

Chrétien zélé et presque mystique, Affonso demande aux Portugais plus de missionnaires et de techniciens mais ceux-ci étendent doucement leur emprise sur l’empire. Ils refusent de vendre au Mwene des navires pour assouvir son désir de faire du commerce international, ils prennent également le controle de ses relations internationales.

Les portugais, venus à la suite de la bulle pontificale du pape Nicolas V qui avait déclaré la guerre sainte aux Noirs en 1454 [5], ont pour stratégie d’assimiler culturellement et religieusement le royaume, de l’enfoncer dans une infériorité technologique et une relation de vassalité avec leur pays.

Affonso accepte au départ de vendre ses captifs de guerre comme esclaves. En sachant que les captifs de guerre étaient généralement bien traités dans l’Afrique ancienne et vu l’image très positive que le roi avait des chrétiens, il est probable qu’il ne savait pas dans quel enfer il les envoyait.

La forte présence des Portugais permet le début des razzias négrières au Kongo. Les princes métis de Sao Tomé, fils de délinquants portugais et d’Africaines mises en esclavage, et élevés dans la haine des Noirs, sèment des ravages.

Affonso réalise avec effroi que son royaume est en train d’être déstabilisé et de se vider. Il fait alors tout pour interdire la traite. Dans ses lettres envoyées au roi Joao III du Portugal, le Mwene dit clairement qu’il ne veut pas d’esclavage chez lui et se plaint du fait que certains de ses sujets cupides et appâtés par le gain, collaborent avec les esclavagistes dont font partie des missionnaires portugais. Le comportement des missionnaires scandalise Affonso. Certains Kongo aident à razzier leurs compatriotes en échange de symboles religieux.

Le roi demande à celui qu’il considère comme son frère chrétien Joao III, que soient retirés les biens de consommation portugais, sans succès, il n’a plus le contrôle sur son royaume. Affonso entre en résistance, les Portugais fomentent complots et attentats contre les dirigeants et détruisent l’appareil politique du royaume.

De hauts dignitaires et des membres de la famille royale sont capturés et déportés aux Amériques. Affonso 1er lui-même, en pleine messe du dimanche de pâques 1540, échappe à un attentat fomenté par 8 portugais, une balle ayant traversé sa tunique royale. A la fin de son règne, l’Empereur est en rupture avec le Portugal avant de mourir en 1543 à 87 ans.

Le Kongo, terrassé par la traite négrière, entre en guerre avec le Portugal mais son infériorité technologique le condamne à demander des armes aux autres Européens qui ne veulent les lui livrer qu’à condition que le royaume… lui vende ses captifs de guerre.

Après plus d’un siècle de résistance, l’armée royale est finalement défaite en 1665. La grande capitale Mbanza Kongo, et ses grands marchés grouillants et colorés d’alors, devient un repère pour animaux, où on ne trouve plus que des gens pauvres et nus.

La tête décapitée du roi Antonio Nvita a Nkanga, dont la défaite en 1665 face à l’armée portugaise esclavagiste, marque l’effondrement du Kongo
Source : Histoire générale de l’Afrique, Unesco

Hotep! 

Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)

Notes :

  • Théorie de la révolution africaine, tome 1 : repenser la crise africaine ; Jean Pierre Kaya
  • Histoire de l’Afrique noire, Joseph Ki-Zerbo
  • Histoire générale de l’Afrique, Unesco, volume 5
  • La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean Philippe Omotunde
  • The destruction of Black civilization, Chancellor Williams
  • [1] Théorie de la révolution africaine, tome 1 : repenser la crise africaine ; Jean Pierre Kaya, page 98
  • [2] Nations nègres et culture, Cheikh Anta Diop, page 343
  • [3] Les racines africaines de la civilisation européenne, Jean Philippe Omotunde, page 44
  • [4] Idem, page 43
  • [5] La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean Philippe Omotunde, page 57
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