Une langue ? Plusieurs langues ? Les leaders et penseurs africains qui sont arrivés à la conclusion selon laquelle l’Afrique devra se diriger vers un Etat Fédéral Noir, se sont posés la question de l’architecture linguistique qui conviendrait à cette fédération. La langue qui revient le plus dans cette discussion est le kiSwahili. Nous allons voir comment elle s’est imposée dans le débat, quel rôle lui accorder dans notre avenir, quels changements lui apporter et de manière générale, comment faire coexister toutes les langues noires au sein d’un Etat fédéral futur.
Comme nous l’avons expliqué dans notre article sur la structure de l’Etat en Afrique ancienne, l’Etat noir par excellence – lorsqu’il est composé de plusieurs peuples – est fédéral et multilinguistique. Cela veut dire que chaque groupe ethnique ou nation ethnique maintient sa langue sur son territoire et a un représentant au sein du conseil de gouvernement qui assiste le roi. Bien que le pays soit multilinguistique, la langue du clan royal devient la langue administrative du gouvernement central et est également parlée dans les nations ethniques. Malgré la diversité qui a existé, il y avait donc souvent une langue supraethnique.
Par conséquent avoir une langue centrale n’est pas incompatible avec l’Ekolo, c’est-à-dire l’Etat africain typique. Avoir une langue commune pour tout le monde noir permettra de faciliter les échanges dans tous les domaines, de renforcer le sentiment d’appartenance à un même peuple et de consolider ainsi l’Etat fédéral. Nous avons tout à y gagner. Une langue est en train de devenir cette langue centrale, c’est le kiSwahili.
La genèse de la langue Swahili
A la haute époque impériale, de l’interaction entre le peuple Pokomo et les peuples Mijikenda au Kenya actuel, sont apparues une langue et une culture commune qui se sont répandues en Tanzanie et aux Comores. C’est cette culture noire qui fut à l’origine des somptueux royaumes de l’époque (Kilwa, Mombasa, Songo Mnara etc…).
Les Arabes en arrivant ont nommé la région Sahil, c’est-à-dire Côte. C’est Sahil qui a donné Swahili ; ki étant un préfixe bantou – comme dans kiNyarwanda, kiKongo etc – qui désigne la langue. kiSwahili veut donc dire Langue de la Côte. Les Arabes et Perses ensuite l’ont imprégnée de leur présence, à tel point qu’elle compte beaucoup de mots d’origine ouest asiatique.
Par le commerce, le kiSwahili s’est diffusé dans toute l’Afrique de l’Est et même jusqu’au nord de Madagascar. Il est devenu une langue neutre, adopté comme seconde langue par beaucoup. C’est donc naturellement qu’aux indépendances africaines, le très sage et afrocentrique Julius Nyerere, premier président de Tanganyika puis de la Tanzanie (TANganyika et ZANzibar), en a fait la langue officielle du pays. Jomo Kenyatta au Kenya suivra.
En 1967 dans Antériorité des civilisations nègres, pages 113 et 114, Cheikh Anta Diop disait ainsi « C’est une langue bantou de l’Afrique de l’Est, le Swahili, qui a le plus de chance de devenir demain pour l’Afrique noire unifiée, une langue de gouvernement et de culture. Sa grammaire, c’est-à-dire sa morphologie et sa syntaxe, ne doivent absolument rien à l’arabe ni à aucune autre langue étrangère. Elles sont strictement indigènes et relèvent des formes et structures de la famille bantoue (…)
Aujourd’hui il est la seule langue nègre officiellement adoptée comme langue de gouvernement et utilisée au Parlement (Tanganyika, Zanzibar et Kenya) ou en voie de l’être (…). Ainsi, après les indépendances politiques, c’est en Afrique de l’Est que, pour la première fois, des Africains noirs ont osé se reconnaitre dans leur culture nationale véritable (…). Une des principales chances du Swahili est que son extension future à d’autres peuples ne poserait aucun problème d’impérialisme culturel, de la part du petit peuple des Waswahili dont il est la langue maternelle ».
Il y a donc un consensus qui depuis les indépendances s’étend autour de cette langue et qui semble irréversible. Le kiSwahili est déjà la langue la plus importante du monde noir. Travailler à bâtir un accord autour d’une autre langue serait une grosse perte de temps. Le choix, on peut le dire, est déjà fait.
Le problème du kiSwahili
Le problème majeur du kiSwahili est l’influence très importante que l’Arabe a eue sur lui. Ce n’est pas seulement le nom mais également le vocabulaire. D’après les linguistes un tiers – certains avancent même 40% – des mots de cette langue, sont d’origine ouest asiatique. Pour une langue qui devient langue du monde noir, c’est un très grand problème, qui plus est en rapport avec un peuple qui est adversaire historique des Africains. Il n’est pas souhaitable de décoloniser le monde noir avec une langue qui a une part étrangère aussi considérable.
Il faudra donc faire le lourd mais nécessaire travail de réafricaniser au maximum son vocabulaire. Les langues sources Pokomo et Mijikenda notamment, devront être utilisées pour ce faire. Il conviendra également de savoir si la langue avait un nom africain avant que les Arabes ne l’appellent Swahili. Si ce mot existe, il devra la désigner de nouveau. Dans le cas contraire, les peuples bantous de la Côte devront lui donner un nom africain.
Quelle architecture linguistique ?
Dessiner avec précision l’architecture linguistique serait trop long pour cet article. Nous allons plutôt essayer d’en ressortir les grandes lignes. L’Etat Fédéral Africain devra être organisé en 3 niveaux :
Les nations ethniques : chaque groupe ethnique devra disposer d’un contrôle politique sur son territoire, y créer des institutions et donc avoir comme langue administrative sa propre langue. Un office de préservation et de promotion de ladite langue – à l’exemple de ce que les Québécois font très bien avec le français au Canada – devra veiller à ce que la langue reste forte et vivante sur le territoire.
Les Etats fédérés : ce sont les pays d’aujourd’hui, qui seront eux-mêmes des fédérations de nations ethniques. Dans le cas du Sénégal ou de la Centrafrique, il existe déjà une langue qui est parlée par tout ou presque tout le pays. Le Wolof au Sénégal et le Sangho en Centrafrique, sont comme le kiNyarwanda au Rwanda, appelées à devenir langues de gouvernement de ces pays.
Pour les pays ne disposant pas d’une langue commune, une solution serait de créer une telle langue à partir des langues de tous les groupes ethniques. Pour les pays où le kiSwahili même est déjà langue de gouvernement et langue maternelle (Tanzanie, Kenya), la situation au niveau de l’Etat fédéré devra rester inchangée.
L’Etat fédéral : Cet Etat sera la fédération des pays noirs d’aujourd’hui. Sa langue de gouvernement sera le kiSwahili.
Prenons l’exemple du Sénégal qui deviendrait une fédération des nations ethniques wolof, sérère, peul, diola etc… La nation ethnique sérère aura 3 langues officielles que sont le Sérère, le Wolof et le kiSwahili. Le Sérère en priorité sera langue administrative des institutions locales. Les deux autres langues auront, sur le territoire sérère, un statut secondaire.
Le gouvernement de l’Etat fédéré du Sénégal aura comme langue administrative le Wolof. Les représentants du Sénégal auprès des institutions de l’Etat Fédéral Africain communiqueront avec leurs collègues africains en kiSwahili. Les travaux de l’Etat Fédéral devront se tenir dans cette langue.
Ainsi on pourra, pensons nous, préserver toutes nos langues en donnant à chacune une importance proportionnée, tout en construisant l’unité dont nous avons besoin.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)