1988. Kenneth Kaunda est informé de la décision de Placid Oil, compagnie d’exploitation pétrolière américaine, de suspendre les activités de recherche du précieux liquide à Chama à l’est de la Zambie. La décision est de toute évidence politique, due à une entente entre Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Le président est dévasté. Il a promis encore et encore à son peuple des jours meilleurs à venir avec l’exploitation pétrolière. C’était sans compter la volonté des alliés de l’apartheid d’affaiblir son régime.
C’est là un des nombreux sacrifices que la Zambie a faits pour voir l’Afrique australe en général, et l’Afrique du sud en particulier, libre. Ce revers entérine la fin de règne à venir d’un des pères fondateurs de l’Afrique contemporaine.
Kenneth David Kaunda naît en 1924 de parents originaires du Malawi, dans ce qui est appelé à l’époque la Rhodésie du nord. Son père est un pasteur missionnaire qui lui transmet sa foi et sa mère est une des premières enseignantes noires du pays sous occupation. Jeune, il est déjà témoin des effets de la politique de ségrégation de l’administration coloniale britannique.
La difficile accession vers l’indépendance
Kenneth Kaunda reçoit une formation d’enseignant et donne des cours à temps partiel dans sa ville natale de Lubwa où il est déjà actif politiquement. Il s’installe dans la capitale Salisbury (aujourd’hui Lusaka) et gravit peu à peu les échelons du mouvement anticolonialiste. Il devient secrétaire générale de l’ANC sous la présidence locale d’Harry Nkumbula. Kenneth Kaunda parcourt des communes à vélo pour éveiller les populations sur leur état inacceptable de pauvreté et les conséquences des politiques de discrimination coloniale. Il est jeté en prison avec Harry Nkumbula pendant 2 mois.
C’est un Kaunda radicalisé qui retrouve la liberté. Il rompt avec Nkumbula qui se montre disposé à préserver certains privilèges des Blancs. Il crée alors la ZANC (Zambian African National Congress) qui est interdite en 1959. Il est condamné de nouveau à 9 mois de prison. A sa sortie, il internationalise le combat et se rend notamment aux USA où il rencontre Martin Luther King et Malcolm X.
Kenneth Kaunda organise le Cha-Cha-Cha, campagne de désobéissance civile par les populations qui vise à paralyser le pays. Sous pression, les colons anglais commencent à lâcher. Le leader indépendantiste devient ministre, est élu premier ministre et devient le premier président de la Rhodésie du nord à l’indépendance en 1964.
Kaunda, le président humaniste
KK comme l’appellent affectueusement ses concitoyens se demande comment unir un pays composé de 73 peuples. Il le nomme d’après le fleuve Zambezi (Zambèze). Son slogan « Une Zambie, une nation » est repris partout. Il professe l’amour entre tous les humains, qui sont d’après lui toutes des créatures de Dieu. Il est comparé à Gandhi et édicte une philosophie nationale baptisée Humanisme Zambien et dont les principaux points sont les suivants :
- L’humain est au centre de tout. Il n’est défini ni par sa couleur, sa nation, son orientation politique, sa religion, son niveau social.
- Il faut respecter l’humanité de chacun dans tout ce qu’on fait et dit.
- L’Humanisme rejette l’exploitation de l’homme par l’homme.
- Chaque humain doit avoir la volonté de travailler dur.
- Il faut travailler en communauté avec un esprit d’équipe.
- La famille étendue doit être la base de la communauté. On ne peut pas rejeter les personnes âgées pour les mettre dans des maisons de retraite, elles doivent faire partie de la famille étendue.
Le président se manifeste ceci dit par une gestion totalitaire du pays. Il interdit les partis d’opposition. C’est le règne du parti unique UNIP.
Kaunda, le président panafricaniste et anti-impérialiste
La Zambie accède à l’indépendance au milieu d’une Afrique australe sous le joug des colons britanniques, portugais et hollandais. Dans la suite de Julius Nyerere en Tanzanie qui a hébergé et soutenu les mouvements indépendantistes de la région, Kenneth Kaunda offre l’abri aux anticolonialistes. Il est convaincu comme Kwame Nkrumah l’a martelé, qu’aucune indépendance africaine n’est complète si l’Afrique entière n’est pas libre. La Zambie va payer très chère cette politique régionale. Elle se voit bombardée incessamment par le gouvernement de l’apartheid. Des vies humaines sont perdues, des infrastructures sont détruites. KK décrit cette période comme « un enfer ».
Déterminés, Nyerere et Kaunda parviennent à faire libérer le Mozambique et le Zimbabwe par leurs actions militaires et leur rôle diplomatique central. KK gagne en aura et préside l’Organisation de l’Unité Africaine. Sur le plan mondial, il refuse de choisir entre l’Occident et l’Union soviétique pendant la guerre froide et prend un rôle de leader au sein du mouvement des nations non-alignées.
Kaunda, le président socialiste africain
Comme pratiquement tous les pères fondateurs de l’Afrique contemporaine, le président professe une idéologie économique socialiste, en phase avec les valeurs africaines d’entraide communautaire et de partage. Il fait construire des écoles, des instituts universitaires, multiplie les centres hospitaliers. L’éducation et la santé sont quasiment gratuites.
Le président subventionne l’agriculture, fait contrôler les prix des denrées alimentaires, nationalise les compagnies minières qui exploitent les abondantes ressources de la Zambie, notamment le cuivre. A sa prise de pouvoir, la Zambie ne comptait que 100 personnes avec une éducation universitaire. A la fin, ils sont 35 000.
La fin de règne et la difficile succession
L’économie zambienne dépend trop de l’exportation du cuivre dont le prix sur les marchés mondiaux chute dans les années 70. Kenneth Kaunda affirmera que c’était une chute voulue par les alliés de l’apartheid afin de saboter son régime. La promesse de l’exploitation pétrolière s’envole avec le départ de Placid Oil. Les caisses de l’Etat se vident. Le président a recours au FMI qui lui impose ses fameux plans de réajustement structurel. Il arrête de contrôler les prix des aliments qui flambent et dévalue le Kwacha, la monnaie nationale. La contestation dans le pays s’intensifie et le président plie devant la vague du multipartisme qui traverse l’Afrique.
Profondément religieux, Kaunda va jusqu’à être ouvert à la concession d’un quart des terres du pays à un gourou indien qui prévoit d’y développer un projet agricole et d’en faire un paradis sur Terre, projet que rejettent vivement les Zambiens. Le père fondateur de la Zambie est largement battu aux élections de 1991 par Frederick Chiluba qui remporte 75% des voix.
Kenneth Kaunda concède pacifiquement le pouvoir et reste une force politique dans le pays. Ce qui lui vaut d’être emprisonné par le président Chiluba pour une supposée tentative de coup d’Etat en 1997. Il est dans la foulée déchu de sa nationalité pendant un an sous prétexte de ses origines malawites. Chiluba tente même de le déporter vers l’étranger et fait voter des lois restrictives sur la nationalité, semblables à celles de l’Ivoirité en Côte d’Ivoire. Le nouveau président finira par céder devant la pression internationale. Kenneth Kaunda retrouvera ses droits.
KK se retire finalement de la vie politique et reste la figure tutélaire du pays, le père bien aimé de la nation. Avec son inséparable mouchoir blanc à la main, il donne des conférences dans le monde entier où il raconte son expérience, professe l’amour entre les humains, se voit couvrir d’honneurs et s’adonne à la musique. Il vivra paisiblement ses dernières années à Lusaka, après avoir consacré sa vie à la Zambie et à l’Afrique. Kenneth Kaunda rendra l’âme en 2021, à 97 ans.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Interview de Kenneth Kaunda, University of California Television
- Black Past
- Kenneth Kaunda and the quest for an African humanist philosophy, Ikechukwu Kanu Anthony, department of Philosophy, University of Nigeria, Nsukka
- BBC
- AllAfrica