Que disent réellement les faits sur l’esclavage au sein des sociétés africaines anciennes? C’est à cela que nous allons répondre. Nous allons pour ce faire, passer en revue l’époque pharaonique et l’époque impériale.
Les Africains de l’époque pharaonique étaient-ils esclavagistes ?
Beaucoup de mythes existent sur l’esclavage en Egypte, popularisés par la Bible et Hollywood. Mais les faits disent autre chose. L’Egypte n’a jamais été esclavagiste. Ça veut dire qu’elle n’a jamais basé la production de ses richesses sur une main d’œuvre servile comme en Europe ou à certaines époques dans le monde arabe. Dans toute l’histoire noire, les travailleurs étaient organisés en castes socio-professionnelles.
La caste des ouvriers en Egypte, était chargée de construire les monuments à la gloire d’Imana/Amen (Dieu), de son messager le Soleil (Râ), de ses principes (divinités), de ses intermédiaires (ancêtres) et de la royauté. Cette caste était formée, payée, considérée et parfaitement libre, comme tout citoyen du pays. Cheikh Anta Diop allait jusqu’à parler de la liberté inaliénable de l’égyptien. En font fois les témoignages suivants :
Du pharaon Menkaouré (Mykérinos) – pour qui a été bâtie une des trois grandes pyramides du plateau de Gizeh – est écrit sur sa tombe « sa Majesté veut qu’aucun homme ne soit pris au travail forcé mais que chacun travaille à sa satisfaction » [1]
Le légendaire Ramessou Maryimana (Ramsès II) dira « Oh travailleurs choisis et vaillants. Oh ! Vous êtes les bons combattants qui ignorez la fatigue, qui exécutez les travaux avec fermeté et efficacité. Je ne vous ménagerais pas mes bienfaits, les aliments vous inonderont. Je pourvoirai à vos besoins de toutes les façons, ainsi vous travaillerez pour moi d’un cœur aimant.
Je suis le défenseur de votre métier (…) votre nourriture sera très copieuse, car je connais votre travail véritablement pénible, pour lequel le travailleur ne peut exulter que lorsque son ventre est plein (…) j’ai aussi mis en place un nombreux personnel pour subvenir à vos besoins : des pêcheurs vous apporteront les poissons, d’autres, des jardiniers feront pousser les légumes, des potiers travailleront au tour afin de faire fabriquer de nombreuses cruches, ainsi pour vous, l’eau sera fraîche à la saison d’été » [1]
Sous Ramessou Hekayounou (Ramsès III), une grève des ouvriers éclate et le roi prend ouvertement leur défense. Le juge prêtre Kai dit « Je les ai payés (les ouvriers) en bière et pain et leur ait fait jurer qu’ils étaient satisfaits » [2]. Comme le dit Cheikh Anta Diop, le règlement de la grève rend ici compte de la tiédeur des revendications, montrant que les ouvriers étaient déjà relativement à l’aise.
Les spécialistes avancent par ailleurs que vu la sophistication extrême des monuments égyptiens, dont la précision et la complexité de réalisation sont supérieures à celles des constructions d’aujourd’hui, cela ne peut être que le travail d’ouvriers entièrement volontaires et en pleine possession de leurs moyens.
Alors s’il n’y avait ni système esclavagiste ni esclavage sur les autochtones noirs, qu’en est-il des étrangers ? Déjà tous les égyptologues sont d’accord sur le fait qu’il n’existe pas de mots en Egyptien ancien correspondant au mot esclave, comme le confirme l’Africain-Caribéen Jean Philippe Omotunde [3].
Il existe ceci dit dans le langage de nos ancêtres, les mots Bak et Sekher Ankh. Le Bak désigne le serviteur, tout comme il peut y avoir encore des employés de maison aujourd’hui, sans qu’ils ne soient le moins du monde mis en esclavage. L’autre mot notable est celui de Sekher Ankh, qui veut dire Vivant blessé, et désigne le prisonnier de guerre.
Après l’invasion repoussée des Hyksos venus d’Asie, l’Egypte est devenue par réaction une nation guerrière et impérialiste, qui faisait des captifs. Ces Sekher Ankh étaient marqués au fer rouge et mis en servitude dans les temples. Dès la prestigieuse 18e dynastie qui inaugura l’ère de l’impérialisme africain, des pharaons exigeaient que leur soient livrées des femmes des pays conquis.
Ces femmes, souvent filles de nobles des pays vaincus, étaient déportés avec des serviteurs. En font fois les documents d’époque sur Menkheperrè Djehouty-Messou (Thoutmosis III), qui recevait en tribu des rois vaincus des centaines de femmes de la Syrie et de l’Irak actuels.
C’est ainsi que le roi d’Asie Khatousil envoya sa fille à Ramessou Maryimana (Ramsès II). Ramessou amoureux, en fit son épouse principale. Nefertari, fille de Khatousil, a ainsi été la seule reine blanche des dynasties autochtones dans l’histoire de l’Egypte.
Alors quel était finalement le sort de toutes ces femmes et ces captifs de guerre ? L’égyptologue Bernadette Menu nous dit que les captifs de guerre étaient « engagé pour effectuer un travail déterminé » [4] et « étaient rémunérés ».
Toujours d’après elle, ils étaient insérés dans la société égyptienne « par des procédés éducatifs ». Et de conclure « Rien ne permet de déceler dans l’histoire de l’Egypte, la moindre trace d’un esclavage privé ». Ce qui veut dire que s’il est extrêmement regrettable que toutes ces personnes aient été déportées de chez elles, elles ont cependant fini par vivre libres en Egypte.
Qu’en est-il de l’esclavage des Juifs en Egypte ? Nous avons répondu dans un article détaillé et avons montré que cette histoire a été inventée et n’a simplement pas existé.
Sur l’Egypte, le chercheur Jacques Pirenne concluait « Ce qui caractérise, en effet, la civilisation égyptienne et la distingue de toutes les autres civilisations antiques, c’est d’une part qu’elle n’a pas connu l’esclavage, et d’autre part qu’elle a donné à la femme – au cours de ses grandes périodes individualistes – un statut juridique absolument égal à celui de l’homme » [5].
La conclusion est que l’Afrique pharaonique n’a jamais été esclavagiste. Il n’y a pas eu de système esclavagiste sur les Juifs, et si elle a commis des actes condamnables en déportant des centaines de personnes innocentes, elle ne les a pas maltraitées.
Les Africains de l’époque impériale étaient-ils esclavagistes ?
Déjà ici aussi, il n’y a jamais eu de système esclavagiste. Le système de caste a perduré et jamais des esclaves n’ont été employés et déshumanisés pour la production de richesses. Il y avait à cette époque deux formes de servitude – de manière remarquablement invariable ou presque – dans toute l’Afrique subsaharienne, y compris à Madagascar :
- Le prisonnier de guerre : Après les migrations des Africains de la vallée du Nil et de la région des grands Lacs, le processus de formation des Etats a nécessité des guerres de conquête, avec leurs lots de captifs. Ces captifs dans la quasi-totalité des cas, devenaient la propriété de la royauté. Les militaires parmi eux finissaient par constituer un corps dans l’armée régulière, et ils étaient dirigés par un d’eux qui finissait par avoir rang de prince. Ces captifs finissaient par jouir des avantages de leur position et étaient considérés comme des sujets du roi.
Donc bien qu’étant la propriété de la couronne, bien qu’étant la possession de quelqu’un, ils n’étaient pas maltraités et avaient même sous certains aspects, un statut enviable. Cette réinsertion des captifs a connu des exceptions, dans le royaume de Danhomé en particulier (Bénin actuel) où les captifs de guerre étaient tués par milliers pour les empêcher de se soulever contre le pays.
- L’esclave de maison ou serviteur de maison, appelé Djam Neg en wolof et Andevo à Madagascar. Dans l’Afrique authentique, la prison n’existait presque pas. La justice se rendait localement, par le conseil des sages de la communauté. Quand on commettait un acte répréhensible, ou quand on n’arrivait pas à rembourser ses dettes, on pouvait être condamné à devenir la propriété de quelqu’un, souvent de son créancier dans le deuxième cas.
On devenait ainsi la propriété d’un maître de maison ou d’une maîtresse de maison. Et on pouvait racheter sa liberté si on avait accompli sa peine. Mais il arrivait bien souvent que la sanction soit transmise par hérédité sur des générations. On devenait ainsi membre d’une caste inférieur que les historiens africains d’aujourd’hui appellent celle des dépendants.
Comment étaient traités les dépendants ?
Alors cela était fonction du fait d’appartenir au père ou à la mère. En vertu du système matriarcal africain, le dépendant de la mère était très bien vu. Il finissait par devenir un membre respecté et influent de la famille, consulté et craint par les enfants. Il n’était en aucune façon maltraité. Le dépendant du père quant à lui, n’était absolument pas considéré, car le père est un parent lointain et son serviteur l’est d’autant. Si le dépendant du père ne subissait pas non plus de mauvais traitement, il n’avait pas d’avantage, et nourrissait de l’amertume et de la frustration.
Tous les dépendants pouvaient posséder la terre, qui dans la tradition africaine ne se vendait jamais mais était distribuée à chacun par le chef local. Le dépendant comme les autres citoyens avait donc un toit, pouvait cultiver et se nourrir, et même s’enrichir. Dans l’empire Mossi (Burkina Faso), c’est un représentant de cette caste qui était d’après la constitution, le troisième personnage de l’Etat, après le roi et le premier ministre. Dans le royaume de Ndongo (Angola), les dépendants (Quizicos) participèrent avec les grands électeurs et les chefs à la nomination du roi en 1620.
Dans les empires de la boucle du Niger, des tribus de dépendants étaient chargés de fournir l’herbe aux chevaux du roi, d’autres des poissons pour les caravaniers sur le fleuve, d’autres encore de fournir des pirogues. C’était là l’impôt qu’elles versaient chaque année tout en gardant leurs richesses qu’elles étaient libres de faire fructifier. En aucune façon, toutes ces personnes n’étaient horriblement maltraitées comme en Europe ou comme le feront les Arabes sur les Noirs en Irak ou en Tanzanie. Les explorateurs de l’époque déposeront dans ce sens :
L’historienne Liliane Crété, qui défend pourtant la thèse de la responsabilité centrale des Africains dans la traite européenne, finit par céder devant les faits et avoue « Disons-le, leur sort ne saurait être comparé à celui des esclaves transportés aux Amériques. Même si un « non-libre » ne pouvait sortir de la servitude, ni sa descendance, il n’était généralement ni mal traité, ni mal aimé. Les esclaves de case faisaient partie de la famille. Leurs relations avec leur maître, rapporte un missionnaire « apparaissent très étroites ; ils mangent presque toujours dans la même calebasse et s’asseyent sur la même couche » » [6].
Michel Izard en parlant des Mossi dit « Le captif dispose de sa personne, il peut se marier et cultiver une terre (…) La relation qui s’établit entre le captif et celui qui a autorité sur lui n’est pas sans évoquer celle qui associe une personne ordinaire à son chef de famille » [7].
Le colon français Louis Gustave Binger dit « (les esclaves) sont traités avec douceur; Ils vivent sous le même toit (que leur maître), sont nourris et se vêtissent de la même façon » [8]
Le distingué historien africain-américain Chancellor Williams dit dans The Destruction of Black Civilization, page 256 « (En Afrique, les personnes mises en esclavage) devenaient membres de la communauté, étaient intégrées dans les familles, pouvaient joindre tous les corps de métier, avaient le droit de cultiver la terre, d’occuper des fonctions importantes, et en fait, avaient tous les droits et privilèges dont jouissaient leurs anciens maîtres ».
L’historien ghanéen Albert Adu Boahen disait ainsi des esclaves chez les Akan « (Ils avaient) le droit de posséder des biens et d’épouser des citoyens libres. Certains étaient même nommés à des postes de responsabilité et pouvaient hériter des biens de leurs maîtres. Ils étaient considérés comme membre à part entière de la famille (…) La plupart d’entre eux étaient parfaitement intégrés à la société dans laquelle ils vivaient et ne pas divulguer leur origine était (…) une règle sacrée » [9].
Alors pouvait-on vendre des dépendants ? Oui mais dans des cas exceptionnels. Au temps de l’empire Songhaï, l’Askia Mohamed Touré, qui avait pourtant beaucoup amélioré la vie de ses dépendants en baissant leurs impôts, vendait des enfants de cette caste pour se fournir en chevaux. Mais les serviteurs de maison n’étaient pas vendus, sauf en cas de crimes ou de famine, et seulement en ayant obtenu le difficile consentement des autres dépendants. Liliane Crété continue et rapporte les propos d’un facteur anglais ayant apparemment été en Sénégambie qui disait « Je n’ai entendu parler que d’un cas où un esclave de maison a été vendu » [6]
En conclusion, les Africains de l’époque impériale n’étaient pas esclavagistes. L’esclavage ou plutôt mise en dépendance était une pratique de proximité, artisanale, et sans dégradation de l’humanité du serviteur, même s’il pouvait être vendu dans des cas exceptionnels.
Cas particulier du Maghreb noir
On sait aujourd’hui que le Maghreb et ses rois étaient noirs jusqu’au 18e siècle. Il convient donc de savoir aussi si il y’a eu pratique de l’esclavage par les Noirs de l’autre côté du Sahara.
Le blanchiment du Maghreb, hormis l’afflux arabe et turque, serait surtout dû à l’esclavage des Blancs chrétiens d’Europe par le monde musulman à partir du 16e siècle. Le Professeur Robert Davis, universitaire américain, estime à 1,250 000 le nombre d’européens achetés, razziés et mis en esclavage au Maghreb par les Berbères noirs, les Ottomans et les Arabes entre 1530 et 1780 seulement [10].
Des villages entiers étaient décimés par les kidnappings et des européens collaborèrent à la vente des leurs. L’historien Bernard Lewis dit « Il ne manquait pas de marchand ni d’entremetteur (…) parmi les européens blancs prêts à capturer leurs voisins et à les vendre comme esclave sur un marché en pleine expansion » [11]. Les Noirs subsahariens aussi furent mis en esclavage par les Noirs et Blancs du Maghreb. Le trafic très important d’esclaves ici est un fait qui n’est pas culturellement africain, il faut surtout y voir l’influence arabe.
Mais comment tous ces esclaves étaient-ils traités ? Prenons le cas du Maroc avec le roi noir Moulay Ismael, considéré par beaucoup comme le plus grand roi de l’histoire du pays. Moulay Ismael est resté en partie célèbre pour ses 150 000 esclaves noirs et ses 25 000 esclaves blancs. Il rendit les Noirs, appelés Abid al Bukhari, puissants. Il avait toute confiance en eux et il fit d’eux la principale force militaire du pays. A tel point qu’à sa mort, c’est eux qui furent arbitres de sa succession entre ses fils. Si la razzia qu’il pratiqua pour se les procurer n’est pas africaine, sa façon de les traiter, comme on l’a vu plus haut, fut parfaitement africaine.
Les esclaves blancs quant à eux étaient chargés de la construction et l’entretien de ses palais. Ils vivaient dans un quartier, regroupés selon leur nationalité d’origine. Ce sont les juifs, sur ordre du roi, qui les payait. Chaque groupe possédait un hôpital, la nourriture y était semble-t-il abondante.
Le traitement de ces esclaves européens n’a donc rien à voir avec ce qui se faisait en Europe. Il existe ceci dit des récits sur des conditions de captivité dignes de l’univers concentrationnaire d’Amérique. Le Maghreb était dirigé à cette époque par les Turcs, les Africains et les Arabes. Nous ne savons pas si les Africains pratiquaient ces conditions de détention.
Conclusion générale
On voit donc que le système esclavagiste, institué par l’Europe pendant des siècles et connue dans les cultures sémitiques, a dans toute l’histoire africaine, été étranger au monde noir. La mise en servitude, hormis influence arabe, était artisanale et relevait plus d’une punition de la communauté. La société africaine authentique, « étonnement humaine » comme le dira l’historienne Louise Marie Diop-Maes, a donc pratiqué un esclavage de proximité ou mise en dépendance sans mauvais traitement, et n’a jamais eu d’economies esclavagistes.
Hotep !
PS : A la question de savoir quel esclavage interdisait l’empereur Soundjata Keita au 13e siècle dans la charte du Manden, nous répondons que Soundjata interdit en réalité la collaboration avec les esclavagistes arabo-berbères qui sévissaient en Afrique de l’ouest depuis la fin de l’empire de Ghana. En fondant le Manden, il réorganisa lui-même le pays en 30 clans dont 16 de dépendants.
PS 2 : Moulay Ismaël a quant à lui bel et bien fait maltraiter des esclaves.
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean-Philippe Omotunde
- Histoire de l’esclavage : critique du discours eurocentriste ; Jean-Philippe Omotunde
- L’Afrique noire précoloniale, Cheikh Anta Diop
- Les captifs européens en terre marocaine au XVIIe et XVIIIe siècle, par Leila Maziane, publié dans Cahiers de la Méditerranée.
- Jean Aimé Rakotoarisoa «La notion d’esclave en Imerina (Madagascar) : ancienne servitude et aspects actuels de la dépendance». TALOHA, numéro 14-15, 29 septembre 2005
- BBC
- [1] La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean-Philippe Omotunde, page 41.
- [2] Idem
- [3] Histoire de l’esclavage : critique du discours eurocentriste ; Jean-Philippe Omotunde, page 52
- [4] Idem, page 54
- [5] Quand l’Africain était l’or noir de l’Europe ; Afrique : actrice ou victime de la traite des Noirs ; Bwemba Bong, page 60.
- [6] La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean-Philippe Omotunde, page 51
- [7] Idem, page 52
- [8] Esclavage, islamisme et christianisme, Capitaine Louis G. Binger, Société d’éditions scientifiques, 1891, pages 8 à 10
- [9] Histoire Générale de l’Afrique, volume 5, page 474 ; Unesco
- [10] The Guardian
- [11] La traite négrière européenne : vérité et mensonges ; Jean-Philippe Omotunde, page 25