Il y a 2600 ans, les Soudanais inauguraient la troisième et dernière phase de leur empire pharaonique de Kush, en transférant leur capitale vers la ville de Méroé, de son vrai nom Baroua ou Maroua. Cette époque glorieuse demeure le sommet absolu de l’expérience historique de la femme africaine.
Cet article suit ceux sur l’origine nubienne (Soudan-sud Egypte actuelle) de la civilisation égyptienne, et sur les deux premieres phases de l’empire de Kush, à savoir Kerma et Napata. La lectrice et le lecteur pourront aussi au préalable, se documenter sur le matriarcat africain afin de mieux comprendre ce qui sera ici dit.
En -663, les Soudanais maitres de l’Afrique perdent l’Egypte. Malgré ce revers majeur, Kush va continuer son développement inexorable. Baroua, île sur le Nil à 300 km au sud de la capitale Napata, va gagner en importance.
En 3645 de l’ère africaine (591 av. JC), devant l’instabilité venue d’Egypte et la reduction des terres arables à Napata, le pharaon soudanais Aspelta, arrière petit fils du légendaire Taharqa, decide de déplacer le centre politique du pays loin de la frontière égyptienne, vers cette ville où de longue date le roi était élu. Au début Napata demeure la capitale religieuse et les pharaons y sont inhumés. C’est à partir du 4e siècle av JC, que les dépouilles des souverains reposeront à Baroua.
L’organisation
Conformément à la tradition matriarcale africaine, le roi kushite de Baroua était choisi parmi les fils de la femme la plus puissante du clan royal. Il régnait avec sa mère et épousait souvent sa sœur pour assurer son pouvoir. Quand l’épouse royale n’était pas la fille biologique de la Reine-Mère, elle était adoptée par celle ci, qui lui transmettait la légitimité du pouvoir.
C’est cette place déjà prépondérante des femmes en Afrique qui allait servir de tremplin, comme on le verra, à leur prise de pouvoir total à Baroua.
Le conseil chargé d’élire le Pharaon était composé des chefs des clans habitant dans les aires des grandes villes, ainsi que des hauts gradés de l’armée et de l’administration. Les peuples loin des centres urbains conservaient une autonomie politique. La même structure se retrouvait dans l’empire Ashanti et le royaume du Benin au Nigeria. Le clergé était puissant et comme partout en Afrique, pouvait ordonner au roi, s’il avait mal géré le pays, de se suicider. Le roi portait le titre de Koï, nom qu’on retrouve de nos jours au Niger.
L’empire, plus grand que la Namibie, était défendu par une armée redoutée depuis la haute antiquité, avec des soldats montés sur des éléphants. Ses archers, corps le plus prestigieux, semaient la terreur dans les rangs ennemis. D’une précision ahurissante, ils plantaient leurs fleches dans les yeux de leurs adversaires.
Le puissant empereur perse Cambyse II qui envahit l’Egypte au 6e siècle avant JC, osa ainsi s’aventurer vers le Soudan et fut violemment tenu en échec par le pharaon de Baroua, qui l’avait au préalable prévenu de l’invincibilité de ses archers. Les Arabes après avoir conquis l’Egypte au 7e siècle après JC, subiront au début le même sort.
La vallée du Nil et ses terres fertiles assurait des récoltes suffisantes. Les très nombreuses vaches marchaient près des vastes vignes et champs de coton. Les caravanes marchandes venues de la Mer Rouge, notamment des royaumes noirs de l’Arabie préislamique comme celui de Saba, transitaient par Kush pour gagner l’Afrique centrale, et vice versa. Les Soudanais commerçaient aussi intensément avec les Africains de la zone équatoriale. Le pays vendait ses textiles à l’étranger, jusqu’en Inde et en Chine.
Le commerce international, l’industrie minière, l’artisanat très avancé (travail de l’ivoire et de l’ébène, bijoux, poteries); et les activités autour des temples, ont fait de Baroua il y a 2000 ans, certainement l’Etat le plus riche du continent et un des plus riches du monde antique.
Les connaissances
Bénis par l’abondance, les Soudanais ont produit une industrie de l’or sophistiquée. Même les murs des temples étaient couverts de feuille d’or. Le minerai était tellement répandu qu’il servait à faire des chaines pour immobiliser les détenus d’après Hérodote.
Mais c’est le travail du fer qui attire le plus l’attention. Il était fondu dans de hauts fourneaux. Le nombre de scories qui témoignent de cette fièvre technologique est tel, que l’activité a été comparée à celle de la révolution industrielle en Angleterre. Baroua a été ainsi appelée par Basile Davidson la « Birmingham de l’antiquité ».
Le sommet de l’expérience de la femme africaine
Conformément à la norme en Afrique, le pouvoir était partagé entre la Mère Royale, équivalente d’Aïssata (Isis) et son fils le Roi, équivalent d’Horo (Horus). La Mère Royale portait à Kush le titre de Kandake (Candace). Elle était la détentrice du lignage royal, le plus haut personnage de l’Etat, la personne la plus honorée, garante par sa nature féminine de l’harmonie de la nation, principale conseillère du Roi, souveraine par intérim quand il ne pouvait pas régner.
Sans qu’on sache précisément pourquoi, les Kandake vont finir par assumer les fonctions d’Horus, c’est à dire chef de la politique nationale et chef des armées. Elles prendront même les titres de Sa Râ, Naba Tawy (Fils de Râ (Dieu), Maître des deux Terres), titres masculins portés par les pharaons d’Egypte. Alors que cette pratique en Egypte n’avait concerné que quelques femmes (Sobekneferou, Hatchepsout, Taousert), le fait de porter les titres masculins d’Horus était devenu la tradition au Soudan.
Les Kandake
La première Kandake à assumer les pleins pouvoirs fut Shanakdakhete en -170. On peut citer après elle Namidemak, Meleaqereabar. Mais ce sont les Candaces du début de l’ère chrétienne, qui seront les plus grandes. En -31, Rome, alors Etat le plus puissant au monde, envahit l’Egypte et essaie de conquérir le Soudan. Kandake Amanirenas répond en menant elle-même ses troupes sur le champ de bataille et charge les Romains. Elle perd un oeil au combat mais continue la guerre, qui se solde par le retrait définitif des Romains de son pays.
Kandake Amanishakheto fut pour sa part si souveraine qu’on ne sait presque rien de son époux. Kandake Amanitore quant à elle était l’égale politique de son mari Natakamani. Jamais dans l’histoire de l’Afrique les femmes n’auront été si grandes, qui plus est dans une des civilisations qui a dominé le continent.
La chute de Baroua et la fin de l’empire de Kush
Vers le 4e siècle l’étendue des terres arables diminue, l’eau se fait rare. Le déclin se ressent par la qualité amoindrie des constructions. L’empire cède vers 325 sous les coups du peuple Nouba. Ezana, roi d’Axoum qui allait introduire le christianisme en Ethiopie en 330, mène également un raid contre Baroua. L’empire de Kush disparaît après 2800 ans d’existence, donc 1100 ans de souveraineté continue et 900 ans d’époque méroïtique.
Après 4000 ans d’éclat, la culture africaine pharaonique, qui avait été centrale dans la naissance de la civilisation en Asie, en Amérique et enfin en l’Europe, s’éteignait là où elle avait commencé, en Nubie. L’Afrique inaugurait alors l’Epoque Impériale avec l’empire Soninké de Ghana au Mali-Mauritanie. Le Soudan continua à briller à travers ses royaumes noirs chrétiens dont nous avons parlés ici, avant que les Arabes ne le prennent au 14e siècle.
Hotep !
Par : Lisapo ya Kama © (Tous droits réservés. Toute reproduction du texte de cet article est interdite sans l’autorisation de Lisapo ya Kama)
Notes :
- Histoire Générale de l’Afrique, volume 2, Unesco
- Histoire de l’Afrique noire, Joseph Ki-Zerbo
- Afrique noire, sol, démographie et histoire; Louise Marie Diop-Maes